

Conservé à l’abri des regards depuis plus d’un demi-siècle, Temps Calme est révélateur du changement essentiel qui s’opère dans l’œuvre de Zao Wou-Ki entre 1953 et 1957, changement qui se caractérise selon les termes du grand historien de l’art Jean Leymarie par l’émergence de « signes conçus comme des appuis pour ce franchissement des apparences » de la figuration à l’abstraction. Ces signes « inventés » ne procèdent pas comme il est généralement admis de la calligraphie, qui « reste pour Zao Wou-Ki une écriture avec ses règles et son sens lisible, mais se réfèrent à des sources plus lointaines et plus mystérieuses », faisant certainement référence à ces « inscriptions archaïques gravées quinze à dix siècles avant notre ère sur les os divinatoires et sur les bronzes rituels de la dynastie Chang » et dont Zao Wou-Ki s’inspire peut-être dans la composition de Temps Calme. Car, même s’ils sont d’une saisissante beauté, les formes qui s’inscrivent au cœur de cette compostion semble venir du fond des âges, d’un temps et d’un espace chargé qui pourrait leur donner une puissance magique si l’on connaît les incantations nécessaires à l’activer.
Il faut aussi dire qu’en cette année 1957, charnière dans l’évolution du langage pictural unique de Zao-Wou-Ki, l’artiste fait aussi la connaissance de l’actrice Chan May-Kan, qu’il rencontre lors de son périple aux quatre coins du monde et qu’il épousera avant de rentrer à Paris avec elle en août 1958. Le titre même de l’œuvre, Temps Calme, ne peut ainsi être anodin, faisant sûrement référence au bonheur peut-être fugace mais retrouvé qui donne un élan inédit à la peinture de l’artiste qui, pour la première fois, semble avoir percé les secrets de la matière, livrant une composition entre emphase et pudeur, magnificence et discrétion, avec d’un côté ces signes graphiques et cabalistiques et de l’autre une palette chaste, ténébreuse et empourprée à la fois. Aussi contraire qu’harmonieuse, Temps Calme nous retient ainsi dans une dimension intérieure qui nous permet de donner tout sens à ce que Zao Wou-Ki voulait nous enseigner en ces termes : « Les gens croient que la peinture et l'écriture consistent à reproduire les formes et la ressemblance. Non, le pinceau sert à faire sortir les choses du chaos. »