

Avec un magnifique poème amoureux "Gui chante pour Lou" écrit lors d'une longue nuit d'attente.
Apollinaire écrit cette lettre à Lou depuis le front, dans la région de Reims, comme le confirme l’allusion au “communiqué du 20”. À Paris, boulevard Saint-Germain, elle fréquente un autre homme, Toutou, imposé à Apollinaire. Il commence sa lettre en donnant quelques nouvelles du front et des “60 ou 70 obus quotidiens” auxquels il paraît sourd. Il passe sans transition à un long poème (86 vers), intitulé "Scène nocturne du 22 Avril 1915. Gui chante pour Lou", improvisé en pleine nuit alors qu'il attendait une attaque ennemie. Subdivisé en diverses interventions de personnages légendaires ou réels et d’allégories, la guerre y disparaît au profit d’un chant d’amour élégiaque et charnel à plusieurs voix : “Gui chante pour Lou”, “Lilith”, “Proserpine”, “Le ptit Lou”, “L’oiseau d’éternité du moutier de Heisterbach”, “La Prière”, “La Joie”, “Le Remords”, “La 45e batterie du 38e”, “Le monde ou bien Les gens du monde”, “L’Avenir”, et le “Chœur des jeunes filles mortes en 191”.
La litanie amoureuse de Gui cède au gré des vers à une flambée érotique qui emporte le poète :
"Mon ptit Lou adoré
Je voudrais mourir un jour pour que tu m'aimes
Je voudrais être beau pour que tu m'aimes
Je voudrais être fort pour que tu m'aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes
Je voudrais que la guerre recommençât pour que tu m’aimes
Je voudrais te prendre pour que tu m’aimes
Je voudrais te fesser pour que tu m’aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m’aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans une chambre d’hôtel à Grasse pour que tu m’aimes [...]
Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d'un soudain amour"
Le poème alterne entre des interventions plus sombres et l’espoir d’un avenir plus heureux, qui se matérialise par un ménage à trois avec Toutou. Mais le libertinage cérébral et sensuel auquel s’adonne le poète n’empêche pas le sentiment d’impuissance face à la perte, qui s’exprime dans des derniers vers plus nostalgiques. L’amour pour Lou du soldat Apollinaire se lit dans ce balancement, manifeste dans le poème.
Références : Correspondance générale. Édition de
V. Martin-Schmets. Champion, 2015, II, n° 870, p. 336 et sq. -- Œuvres poétiques, Pléiade, 1965, p. 445-447.