Lot 19
  • 19

Statue Uli, Nouvelle-Irlande, Archipel Bismarck

Estimate
200,000 - 300,000 EUR
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Description

  • wood, pigments and turbo shells
  • haut. 115 cm ; 45 1/8 in

Provenance

Acquis in situ par le Capitaine Karl Nauer (1874-1962), entre 1903 et 1911
Museum für Völkerkunde, Munich, 1912 (inv. n° 12-21-3)
Collection Ludwig Bretschneider, acquis en 1947
Collection privée européenne
Ana et Antonio Casanovas, Madrid
Collection privée européenne

Catalogue Note

LE CAPITAINE KARL NAUER, UN MARAUDEUR FLAMBOYANT DANS L'ARCHIPEL BISMARCK

Par Jean-Philippe Beaulieu

Selon la grande tradition de la statuaire Uli - qui commandait de longs et complexes rites funéraires -, cette image d’ancêtre incarne, dans son allure et ses attributs, à la fois la puissance absolue, la force, le pouvoir mais aussi la fécondité. Aux canons classiques - large tête barbue surmontée d’une crête, face convexe blanche, orbites et contour du visage au sourire carnassier - s’ajoute la très grande rareté du rehaut facial noir à petits points blancs. Un motif en chaine ocre, avec des traces de pigments jaune, longe la barbe sur le côté droit. Les mains tiennent un bandeau sur l’estomac et un petit sac est suspendu au poignet gauche. Au sein d’un corpus de deux-cent-soixante Ulis répertoriés, il est l’unique connu avec une petite figure auxiliaire positionnée sur la droite (plus précisément sous le coude). Ce Uli, sculpté dans un bois dur et dense, participa à différents rituels comme l’indiquent les couches successives de pigments et la patine du bois, notamment sur les pieds. Il est remarquable qu’il reste des aplats de chaux avec des motifs rouges et des traces de jaune sur le visage et le ventre (comme pour le Uli inv. n° 45809 du Linden Museum de Stuttgart), attestant qu’il est resté quasiment intouché pendant une centaine d’années. Michael Gunn (2014) considère que ces motifs observés sur dix-huit autres Ulis et quatre crânes sur-modelés sont probablement des marques de clans.

Cette œuvre est l’un des vingt-sept Uli collectés par le capitaine Karl Nauer entre 1903 et 1911. Il fut enregistré dans les collections du Staatliches Museum für Völkerkunde de Munich en 1912 sous le numéro 12-21-3, avant d’être cédé à Ludwig Bretschneider en 1947 dans le cadre d’un échange.

Au cœur de l’Archipel Bismarck, de petits groupes d’hommes avaient développé des traditions artistiques remarquables dont l’exubérance extraordinaire s’inscrivait dans une vie rituelle riche et complexe. Elles exerçaient une véritable fascination sur les directeurs de musées. « J’ai presque honte d’avouer que je suis fou des sculptures de Nouvelle-Irlande » écrivait Karl von Linden, le fondateur du musée Linden de Stuttgart à Max Thiel en Juin 1908.

Le Capitaine Karl Nauer, commandant du vapeur côtier Sumatra patrouillant la mer de Bismarck, fut pris d’une frénésie de collecte d’objets ethnographiques animée par une réelle fascination pour les Ulis. La compétition était féroce avec les administrateurs et les résidents coloniaux. Bien évidemment, les Ulis devenaient de plus en plus rares et le 25 juin 1911, Karl Nauer écrivait : « Encore cinq Ulis, et les glorieux jours de collectes sont révolus ; durant quatorze jours, j’avais trois garçons à Messi, au cœur du pays Uli, mais ils sont revenus bredouilles. Il n’y en a pas un de plus. C’est bien dommage. Boluminski a pris le dernier il y a six mois».

Karl Nauer avait envoyé un premier lot d’objets à son père, dans sa ville natale d’Obergünzburg où ils furent exposés. Le Prince Rupprecht de Bavière visita la collection lors de manœuvres militaires dans la région et souhaita immédiatement en acquérir une partie pour le musée Ethnologique du Royaume de Bavière. Au-delà de l’aspect financier, la perspective d’obtenir la décoration de l’Ordre Royal du Mérite de Saint Michel (4ème classe) remplissait d’aise le capitaine Karl Nauer. Il envoya donc dix Ulis à Munich. Le 14 juillet 1911, il écrivait à Ernest Sarfert : « Une collection d’oiseaux empaillés est moins compromettante pour une bonne âme catholique que mes beautés, mes Ulis, avec leurs organes génitaux démesurés. Ils auraient provoqué de nombreuses insomnies aux membres du clergé et autres esprits pervers. Si Munich refuse de les exposer dans toute leur magnificence et toute leur splendeur, et bien je les garderai pour décorer ma maison. »

Munich accepta ces dix Ulis, dont celui proposé ici.

Sources :

Remerciements à Dr Michael Gunn (Melbourne), Dr Marion Melk-Koch (Leipzig), Dr Michaela Apel (München), Dr Hilke Thode-Arora (München) et Dr Martina Kleinert (Obergünzburg).

Lettres de Karl Nauer à Ernst Sarfert : 25 juin 1911, 14 juillet 1911, Museum für Völkerkunde Leipzig, fichier d'acquisition 1911, n° 84

Lettre de Karl von Linden à Max Thiel (représentant de la compagnie Hernsheim, installé en Nouvelle Bretagne) Juin 1908, Linden Museum Stuttgart, dossier de Max Thiel

Registres du « Museum Fünf Kontinente », Munich

Buschmann,“Karl Nauer and the Politics of Collecting Ethnographic Objects in German New Guinea”, Pacific Arts, 2000, n° 21/22, p. 93-102

Rainer Buschmann, “Anthropology's Global Histories: The Ethnographic Frontier in German New Guinea, 1870-1935”, 2009, Presse Universitaire d'Hawaii

Michael Gunn, “Art Traditions of New Ireland - an Overview”, in Allen et Waite, Repositioning Pacific Arts - Artists, Objects, Histories. Proceedings of the VII International Symposium of the Pacific Arts Association, 2014, p. 60-73

Augustin Krämer, "Die Malanggan von Tombara", 1925, Munich, Georg Mueller

CAPTAIN KARL NAUER, A FLAMBOLYANT MARAUDER IN THE BISMARCK ARCHIPELAGO

By Jean-Philippe Beaulieu

In the great tradition of the Uli statuary which required long and complex funeral rites, this ancestor image embodies, in its appearance and attributes, absolute power, strength, authority but also fecundity. The classic cannons - large bearded head topped with a crest, white convex face, eye sockets and contours of the face encasing a carnivorous smile - are heightened by the great rarity of the black facial accent punctuated with small white dots. An ochre chain pattern with traces of yellow pigments adorns the right side of the beard. The hands hold a band on the stomach and a small bag hangs from the left wrist. Within the corpus of 260 recorded Ulis, this is the only known example with a small auxiliary figure positioned on the right (more specifically under the elbow). This Uli, carved in hard, dense wood, took part in various rituals, as indicated by the successive layers of pigments and the patina of the wood, especially on the feet. It is quite remarkable that certain areas of the lime coating remain, with ochre motifs and traces of yellow on the face and stomach (as in the Uli inv. No. 45809 of the Linden Museum in Stuttgart), revealing that it has remained virtually untouched for a hundred years. According to Michael Gunn (2014) this motifs visible on eighteen Ulis and four overmodeled skulls are probably evoking the history of the clan.

This work is one of twenty-seven Ulis collected by Captain Karl Nauer between 1903 and 1911. It was recorded in the collections of the Staatliches Museum für Völkerkunde in Munich in 1912 under the number 12-21-3, before being transferred to Ludwig Bretschneider in 1947 as part of an exchange.

In the heart of the Bismarck Archipelago, small groups of men had developed remarkable artistic traditions, the extraordinary exuberance of which was part of a rich and complex ritual life. They held a profound fascination for museum directors. Karl von Linden, founder of the Linden Museum in Stuttgart, wrote in June 1908, "I am almost ashamed to admit that I am crazy about the sculptures in New Ireland.”

Captain Karl Nauer, commander of the Sumatra coastal steamer patrolling the Bismarck Sea, was caught up in a collecting frenzy of ethnographic objects, fuelled by a real fascination for the Ulis. Competition was fierce among administrators and colonial residents. As might be expected Ulis became increasingly rare, and, on 25 June 1911, Karl Nauer wrote: "Five more Ulis, and the glorious days of collections are over; for fourteen days I had three boys in Messi, in the heart of the Uli country, but they returned empty-handed. There is not a single one left. That's a shame. Boluminski took the last one six months ago."

Karl Nauer sent the first batch of objects to his father in his hometown of Obergünzburg where they were exhibited. Prince Rupprecht of Bavaria visited the collection during military manoeuvres in the region and immediately expressed a desire to acquire a part of it for the Ethnological Museum of the Kingdom of Bavaria. Beyond the financial aspect, the prospect of obtaining the decoration of the Royal Order of Merit of Saint Michael (4th class) delighted Captain Karl Nauer. He therefore sent 10 Ulis to Munich. On July 14, 1911, he wrote to Ernest Sarfert: "A collection of stuffed birds is less compromising for a good Catholic soul than my beauties, my Ulis, with their oversized genitals. They would have caused many an insomnia to members of the clergy and other perverted minds. If Munich refuses to display them in all their magnificence and all their splendour, well I shall keep them to decorate my house."

Munich did accept these ten Ulis, including the one offered here.

Uli figure, New Irland, Bismark Archipelago