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Paire de médaillers en marqueterie provenant du Cabinet des médailles ou des curiosités de Louis XIV à Versailles, l'ébénisterie réalisée par Alexandre-Jean Oppenordt, vers 1684 sur les dessins de Jean Berain
Description
- Haut. 45 cm, larg. 50,5 cm, prof. 31 cm
- Height 17 3/4 in; width 19 2/3 in; depth 12 1/4 in
la façade en étain et incrustation d'ébène, ornée de rinceaux feuillagés, arabesques et fleurs de lys ; les boutons de tirage en cuivre ; la caisse en sapin a été plaquée d'acajou, probablement au XVIIIe siècle, et numéroté 146 et 147 sur les côtés.
Provenance
Catalogue Note
Le Cabinet des médailles, connu aussi sous les noms de Cabinet des curiosités, des raretés ou des bijoux, fut aménagé entre 1682 et 1686 et désaffecté en 1741. Les médailles furent alors transportées à Paris dans la bibliothèque royale et le cabinet qui, quant à lui, fut détruit. Rattaché à l'appartement de Madame Adélaïde dont il devint la première antichambre, il devint par la suite le cabinet des jeux de Louis XVI. Pour se faire une idée du décor de Louis XIV, on dispose de quelques éléments dans les comptes des Bâtiments du roi, deux descriptions contemporaines prolixes, l'une par Nicodème Tessin et l'autre par Félibien, ainsi qu'un plan et un croquis de Tessin.
On accédait à cette salle par une ouverture située face à la fenêtre, donnant sur le Salon de l'Abondance. La pièce était rectangulaire (9m30 x 7m60) avec les angles arrondis occupés par des niches. Si l'on en croit Tessin, le schéma décoratif avant été conçu par Jean Berain. L'impression était celle d'une véritable salle du trésor ou d'un cabinet des merveilles ("Schatzkammer") avec un foisonnement de statuettes en bronze, en argent et en agate, de bustes, de joyaux, de pierres gravées et de vases posés sur des étagères doréers dans les niches. Des pilastres revêtus de miroirs rythmaient la pièce et étaient également recouvert de petites consoles dorées avec des statuettes d'agate.
Dans les intervalles laissés libres entre les pilastres et les niches de miroirs, des panneaux tendus de velours bleu étaient recouverts sur trois rangées verticales des tableaux les plus précieux de l'école italienne (Véronèse, Léonard de Vinci, Andrea del Sarto et Mantegna). Dans les quatre niches d'angle qui étaient revêtues de miroirs, des groupes en argent de l'enlèvement des Sabines dominaient une juxtaposition de groupes antiques et modernes parmi lesquels les Quatre Parties du monde de Bernin, réductions des statues de la fontaine de la place Navone, ainsi que des petits vases de jaspe et d'agate montés en or. Le plafond en coupole ovale, d'une grande complexité, juxtaposait des jeux de miroirs et des décors de stuc doré sur fond bleu lapis. Au sol, Philippe Poitou avait posé un parquet de marqueterie.
Dans ce décor d'une densité et d'une richesse inouïe, les seuls endroits où pouvaient se loger des médailliers étaient dans le bas lambris, comme l'explique Nicodème Tessin : "en bas, dessous les quatre niches et huit places des tableaux, il y a partout des espèces d'armoires où l'on garde 27 000 médailles dedans, dont il y en a une parmi sans prix de l'empereur Auguste". (Relation de sa visite à Marly, Versailles... en 1687, publiée avec une préface et des notes de P. Francastel, 1927).
Si l'on se reporte au plan reproduit (Arch. Nat. O1 . 1768, n° 29), en gardant à l'esprit la présence de la porte face à la fenêtre, de la niche de la cheminée et de la niche du lit de repos en vis-à-vis de la cheminée qui étaient couvertes de miroirs, où l'on repère aisément les huit panneaux où se logeaient les médailliers entre les pilastres, ainsi que les quatre niches où étaient les quatre derniers médailliers, dont la façade incurvée épousait la forme de la pièce.
Un médaillier d'angle, présentant une façade incurvée, a été vendu par Sotheby's à Monaco le 11 décembre 1999, lot 29. Ce médaillier possédait une double rangée de dix-huit tiroirs à façade de bois de santal et un encadrement à fond d'ébène et incrustation d'étain à motifs de rinceaux feuillagés, fleurs de lys et L entrelacés.
Notre paire de médailliers se trouvait donc encastrée dans les murs, dans les niches que l'on peut repérer sur le plan du Cabinet des médailles et plus précisément de chaque côté de la porte (voir supra).
L'ébéniste Alexandre-Jean Oppenordt (v. 1639-1715) fut payé entre le 2 janvier et le 12 mars 1684 : "3 600 Livres pour douze cabinets de marqueterie qu'il a faits pour les médailles de Sa Majesté, à raison de 300 Livres chacun". Entre mars et mai, il reçut des paiements supplémentaires concernant divers ouvrages non spécifiés pour la même pièce.
Les médailliers du Cabinet des curiosités étaient en fait des armoires de boiserie, c'est-à-dire des éléments immeubles par destination, et non pas des meubles. La description de Tessin est en effet complétée sur ce point par celle plus précise de Félibien en 1695 : "Une grande table remplie de tiroirs & faite en forme de bureau placé au milieu de ce cabinet ne suffit pas à les contenir. C'est pourquoi dans les niches et dans les enfoncements dont on a parlé, il y a douze armoires ou cabinets particuliers, qui ne s'élèvent qu'à hauteur d'appuy. Ils sont dorés & enrichis d'ornemens : & ont de part & d'autre des figures d'enfans en forme de thermes. Plus de trois cent tiroirs ou tablettes contenus dans ce cabinet, dans le bureau & sous un lit de repos placé vis à vis la cheminée, servent à disposer par ordre toutes les médailles, & les pierres gravées."
En 1722, un inventaire du Cabinet des médailles ne laisse plus aucun doute du fait qu'il s'agit bien d'armoires de boiserie : "Il y a douze armoires principales pratiquées dans le pourtour du lambris. Deux autres pratiquées dans la hauteur et profondeur d'une espèce de lit de repos, et huit tiroirs dans un bureau qui est au milieu du cabinet."
Le texte décrit précisément le nombre de tablettes de chaque médaillier, son emplacement et son contenu. Chacun des médailliers comportait trente-six tablettes, sauf les deux médailliers de part et d'autre de la porte qui n'en contenait que dix-huit et ceux logés dans le lit de repos qui avaient vingt-huit tiroirs. Notre paire de médailliers, à dix-huit tiroirs, correspond donc à la paire qui était placée de chaque côté de la porte.
À partir de ces descriptions et des meubles connus, on peut imaginer ces médailliers. Ils consistaient en une série de blocs de tirettes à façade de marqueterie, insérés dans un bâti de menuiserie, ornés de termes d'enfants, sculptés et dorés. A avait-il des battants devant ces tirettes ? Le terme d'armoire semble l'impliquer et de plus on en constate dans la quasi-totalité des médailliers de cette époque. Si l'intervention d'Oppenordt se limita à fournir ces blocs de tiroirs au prix de trois cent livres pièce, on a par ailleurs le nom du menuisier, Rivet, qui assura le travail de boiserie pour le prix considérable de 11 921,00 Livres et l'on peut suggérer que les termes d'enfants furent réalisés par l'un des sculpteurs nommés dans les comptes des Bâtiments (Pierre Mazeline, Noël Jouvenet et Etienne Le Hongre). Oppennordt dut intervenir un an après, en janvier 1685, pour rallonger à l'arrière les tiroirs à médailles et pour les consolider au moyen de fers : "je certifie que le Sr Openore a démonté les douze cabinets des médailles du Roy et a fait aller les tablettes jusqu'aux fonds de derrière, et a démonté pour cela les tiroirs par-derrière, et les a tous ferrez entre deux bois, en sorte qu'il me les a livré en bon état. À Versailles le 26 janvier 1685. Rainssant" (Arch. Nat. O1 2064). Les tirettes reçurent des planches gainées de maroquin réalisées par Daubancourt, avec des alvéoles pour les médailles. Ces planches qui furent démontées et envoyées en 1741 à Paris au Cabinet des médailles, s'y trouvent toujours. Elles ont pour certaines la forme irrégulière s'adaptant parfaitement aux médailliers incurvés des niches. Ces planches furent dessinés par André Morel (1646-?) sous forme de cartons explicatifs destinés à faciliter la consultation des médailles par le Roi. Ces cartons sont toujours conservés au Cabinet des médailles (Res. ms 70100 MORF.) et l'un d'entre eux est inscrit "médailles dessinées par M. Morel en 16... Les planches sont dans la forme du Cabinet qui était alors à Versailles."
Autre preuve que les médailliers étaient immeubles : les inventaires du Cabinet des médailles listent dans la pièce le fameux bureau d'Oppenordt, un lit de repos ("composé d'une housse de riche brocart, fond d'or aux chiffres du Roy, lizeré de noir, avec les trois soubassements de broderie où il y a trois camayeux"), deux fauteuils et six pliants garnis d'un brocart d'or et d'argent. Des médailliers, il n'est fait aucune mention. De plus, lors de leur transfert à Paris en 1741, seules les planches à médailles garnies de cuir furent transportées avec les médailles. Il ne fut pas question de démonter les lambris et blocs de tiroirs de Versailles puisque Verbeckt avait déjà sculpté pour Paris en 1741 et 1742 des armoires destinées à recevoir les médailles (voir T. Sarmant, op. Cit. P. 168).