Lot 11
  • 11

James Ensor

Estimate
1,000,000 - 1,500,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • James Ensor
  • Squelette arrêtant masques
  • signé Ensor et daté 91 (en bas à droite)
  • huile sur toile 
  • 30,5 x 50,7 cm (dimensions du motif); 33 x 55 cm (dimensions du châssis)
  • 12 x 19 15/16 in. ( dimensions of the pattern); 13 x 21 11/16 in. (dimensions of the stretcher)

Provenance

Collection particulière belge (don de l’artiste avant 1922)
Par descendance au propriétaire actuel

Literature

Emile Verhaeren, James Ensor, Bruxelles, 1908, p. 117 (répertorié dans les oeuvres datant de 1891 mais non reproduit)
Grégoire le Roy, James Ensor, Bruxelles, 1922, p. 183 (répertorié dans les oeuvres datant de 1891 mais non reproduit)

Condition

A professional condition report is available upon request. Un rapport d'état professionnel est disponible sur demande.
"In response to your inquiry, we are pleased to provide you with a general report of the condition of the property described above. Since we are not professional conservators or restorers, we urge you to consult with a restorer or conservator of your choice who will be better able to provide a detailed, professional report. Prospective buyers should inspect each lot to satisfy themselves as to condition and must understand that any statement made by Sotheby's is merely a subjective, qualified opinion. Prospective buyers should also refer to any Important Notices regarding this sale, which are printed in the Sale Catalogue.
NOTWITHSTANDING THIS REPORT OR ANY DISCUSSIONS CONCERNING A LOT, ALL LOTS ARE OFFERED AND SOLD AS IS" IN ACCORDANCE WITH THE CONDITIONS OF BUSINESS PRINTED IN THE SALE CATALOGUE."

Catalogue Note

signed 'Ensor' and dated '91' (lower right); oil on canvas. Painted in 1891


The English translation of this note follows the French


Notice de catalogue

Voilà cent vingt-cinq ans qu’une comédie jouée par des masques pétulants et un squelette arborant toque de fourrure noire, se trame sans spectateurs. Peinte à Ostende en 1891 où la toile est demeurée dans la même famille, Squelette arrêtant masques est dévoilée aujourd’hui.

Considérée par le Ensor Advisory Committee comme la plus importante redécouverte de l’œuvre de l’artiste depuis sa création (2002), Squelette arrêtant masques est d’une extraordinaire fraîcheur : la vitalité des couleurs que le grand ciel gris ostendais et l’absence d’exposition au public semblent avoir maintenue intacte le dispute à la vigueur et au mystère de la scène. Au-delà de ses incontestables qualités chromatiques et plastiques, cette toile se révèle indispensable à la lecture de l’œuvre d’Ensor dans ses années les plus fastueuses et les plus géniales. Ces années où surgissent des œuvres d’une nouveauté inouïe et inégalée se concentrent schématiquement sur une décennie seulement : entre 1883, date de la formation du cercle des XX (dont Ensor est l’un des fondateurs) et 1893, date de la dissolution des XX (avec lesquels Ensor a déjà pris ses distances).

Grotesque autant que dramatique, la scène de Squelette arrêtant masques atteint un niveau de dépouillement, de lisibilité, voire de réalisme, sans précédent. Sous un maelström de rose et de bleu, Squelette arrêtant masques compte parmi les plus belles toiles de la période où la puissance créatrice d’Ensor atteint un stade décisif. C’est un privilège de la révéler. Et un ravissement de lui conserver un mystère : l’as de pique rouge qui épaule la signature du peintre.

Œuvre magistrale et inédite, Squelette arrêtant masques est d’une interprétation complexe. Comme le suggère Xavier Tricot, auteur du catalogue raisonné des peintures de James Ensor, le sujet de la toile pourrait faire référence à un événement précis : une rébellion en 1891 à l’intérieur de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) divisée entre factions farouchement athées et factions spiritualistes ou déistes. Contre les étudiants fougueux et exaspérés manifestant pour la liberté de la science, le recteur impopulaire fit lever la police. Proche d’intellectuels parmi les plus libéraux de gauche, il n’est pas improbable, qu’Ensor, frondeur par nature, ait eu à cœur de prendre parti.

Polysémique comme la plupart des œuvres les plus ambitieuses de l’artiste, Squelette arrêtant masques pourrait être d’une portée moins circonstanciée. A l’époque où il réalise la toile, Ensor est décrit par ses contemporains comme un "grand garçon joli, de fine complexion, que toutes les femmes reluquent" (Jules du Jardin). Ce presque dandy qui cultive un semblant de négligé a trente et un an. Il a fait ses armes à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles de 1877 à 1880. Durant ces années de formation dont il retire un profond dégoût pour l’académisme sous toutes ses formes, Ensor fréquente le salon progressiste de la famille Rousseau, un couple de scientifiques (Ernest Rousseau deviendra recteur de l’ULB après la crise de 1891) aussi affectueux qu’exubérants, où se retrouve l’élite intellectuelle et politique. En 1880, Ensor est de retour à Ostende. A de rares exceptions, Ensor ne quittera plus cette ville dont la vie est rythmée par la saison des bains de mer et les festivités du Carnaval. 

En 1889, c’est dans l’atelier situé à l’angle de la rue de Flandre et du boulevard Van Iseghem qu’Ensor achève L’Entrée du Christ à Bruxelles. La toile sera présentée l’année suivante au salon des XX. Depuis 1887 pourtant, devant la montée de l’enthousiasme ambiant pour le néo-impressionnisme, celui qui faisait figure de thuriféraire et de leader s’est éloigné du groupe. La même année, Ensor perd simultanément son père, unique homme de la famille et le seul à soutenir moralement son choix d’une carrière artistique, et sa grand-mère maternelle, source d’inspiration fort excentrique. Dans son œuvre, la mort fait alors sa grandiloquente entrée sous les traits de la figure du Christ avançant triomphalement dans la ville avant de recevoir les outrages de ses contemporains. En 1891, l’année de Squelette arrêtant masques, ce processus de martyrisation atteint son apogée dans L’Homme de douleur où l’identification au Christ se dépouille de presque toute ambiguïté. En 1891 toujours, une autre œuvre (un petit panneau de 16 x 21,5 cm) est cruciale dans la compréhension de l’œuvre d’Ensor en général, dans l’interprétation inédite de Squelette arrêtant masques en particulier. Par un jeu de langage décliné, Squelettes se disputant un hareng saur symbolise l’identification d’Ensor à l’Art (hareng saur = Art-Ensor).

Redécouverte aujourd’hui, Squelette arrêtant masques est la toile qui faisait défaut pour avancer et vérifier l’hypothèse selon laquelle, obsédé par la mort comme il l’est par la mer, par les masques et par lui-même, Ensor s’est dès le début des années 1890 peint sous les traits d’un squelette. Une photographie prise en 1891 représentant Ensor en uniforme de hussard, jouant une saynète à la fois inquiétante et drôlatique avec le fils Rousseau, tend à le confirmer. Ce ne serait pas la première fois qu’Ensor, qui aime expérimenter différents supports se sert de la photographie comme source de ses autoportraits. Deux de ces portraits en squelette, une eau-forte de 1889, Mon portrait squelettisé, et une toile de 1896-1897, Squelette peintre, s’en inspirent directement.

Autour du squelette-Ensor, sept masques bigarrés entretiennent une relation symbiotique en même temps qu’ils jouent une mystérieuse mascarade. Femme au grand nez blanc qui ne se fait pas enlacer mais bel et bien repousser par le hussard, pierrot tout aussi blanc, clown goguenard et face roussoyante, vétéran graveleux, visage aux orbites bleues et vieux diablotin se sont donné rendez-vous. Le bal des masques a lieu sur le devant de la scène. Horizontale et concentrée dans un premier plan qui occupe la moitié de la toile, la composition de Squelette arrêtant masques n’est pas sans évoquer celle d’une œuvre qui lui est contemporaine, L’Intrigue (1890). A l’époque, Ensor fréquente les salles de spectacle, véritables réservoirs de satire sociale. Mais la passion d’Ensor pour les masques a des origines antérieures et bien plus viscérales. Les masques primordiaux sont ceux de la boutique familiale, celle de ses grands-parents reprise par la mère du peintre. De cette enfance baroque où les coquillages ont les mêmes reflets que les fards de certains masques, date l’incomparable capacité d’Ensor à mêler jusqu’à la confusion réel et fiction : "L’attention extrême qu’il porte à la réalité stimule, paradoxalement, son imaginaire et le pousse à trouver l’extraordinaire dans l’ordinaire" (Sabine Taevernier, Ensor, Paris, Musée d’Orsay, 2009-2010, p .223). Une fois par an, le légendaire carnaval d’Ostende fait culminer, à travers le renversement parodique des codes sociaux, cette tacite collusion des genres qui va jusqu’à définir la vision et les stridences de l’art d’Ensor.


Dénuées d’accessoires superfétatoires, les figures se distinguent les unes des autres dans les bigarrures caractérisées de leurs atours. Saisies à mi-corps, elles se détachent sur ce qui est l’un des plus beaux morceaux de ciel d’Ensor. Celui que son ami Verhaeren qualifie de "Maître des masques" a une remarquable maîtrise de la couleur et de la lumière. Surgi des limbes du temps, Squelette arrêtant masques en est l’un des plus beaux exemples. Si les tons criards des costumes des figures sont consubstantiels au thème de la farce dont elles sont les marionnettes, ce qui est génial, c’est la manière audacieuse et irrévérencieuse qu’Ensor a de confronter sans transition couleurs pures et à scandale. A côté du vermillon, du garance, du jaune citron, du bleu céruléen, que dire du noir héroïque de l’habit du squelette sinon qu’il est encore plus radical et séduisant ? Tandis que le ciel de L’Intrigue était bas et d’un gris crépusculaire, le ciel de Squelette arrêtant masques est vaste et mouvementé, diapré de rose et bleu. Il ne faut pas oublier que s’il vit au milieu du rutilant bric-à-brac de la boutique de souvenirs, Ensor vit également face à la mer et ses grands espaces aériens. De la plage où il a coutume de se promener et depuis la grande fenêtre de l’atelier, il est l’observateur des jeux d’une lumière dont il écrit être amoureux. Sous le couteau à palette, le ciel ruisselant de dégradés devient une création picturale indépendante. Les biographes d’Ensor s’accordent à dire qu’en 1886-1887, au moment de son séjour à Londres, des œuvres de Turner étaient exposées à la National Gallery. Il ne fait pas de doute qu’Ensor connaissait son œuvre. Dans Squelette arrêtant masques, le lyrisme de la brosse et la sensualité de la touche font apparaitre, sous la réalité de la pâte, la puissance expressive et imaginaire de la lumière du peintre.


Catalogue note

For the past twenty-five years a comedy played by petulant masks and a skeleton wearing a black fur, has been without an audience. Painted in Ostend in 1891 where the canvas has remained in the same family, Squelette arrêtant masques (Skeleton stopping the Masks) is revealed today.

Considered by the Ensor Advisory Committee as the most important rediscovery of the artist’s works since its creation in 2002, Squelette arrêtant masques is extraordinarily fresh: the brightness of the colours has been utterly preserved by the fact the work has been hidden from public view for so long. Beyond its undeniable chromatic and artistic qualities, this painting adds an new indispensable element to the reading of Ensor’s greatest years. The years that see the emergence of works of such incredible and unrivalled novelty are limited to a period spanning only a decade, between 1883, date of the formation of the Les XX circle (of which Ensor is one of the founders) and 1893, date of the break-up of the Les XX (from whom Ensor had already distanced himself).

As grotesque as it is dramatic, the scene of Squelette arrêtant masques reaches an unprecedented level of starkness, of legibility, even realism. Beneath a pink and blue maelstrom, Squelette arrêtant masques is one of the most beautiful paintings from this period where Ensor’s creative power had reached a decisive stage. While this painting is today revealed to the full light of day it still retains its mysterious quality perhaps best exemplified by the red ace of spades that accompanies the painter’s signature.

Squelette arrêtant masques is a complex work. As suggested by Xavier Tricot, the author of the catalogue raisonné of the paintings by James Ensor, its subject could refer to a precise event: a rebellion in 1891 within the Free University of Brussels (ULB) divided into bitterly atheist factions and factions spiritualist or deistic. The unpopular rector brought in the police against the hot-headed and exasperated students demonstrating for the freedom of science. Close to these mostly liberal and left wing intellectuals, it is very probable that Ensor, a rebel at heart, was motivated to take position.

At the time he painted Squelette arrêtant masques, Ensor was described by his contemporaries as a “tall, handsome boy, of light complexion, that all the women ogled” (Jules du Jardin). This dandy-like figure who cultivated a negligent appearance, was thirty-one years old. He earned his stripes at the Fine Arts Academy of Brussels from 1877 to 1880. During his early training, from which he retained a profound disgust for academia in all its forms, Ensor frequented the progressive salon of the Rousseau family (Ernest Rousseau would be appointed rector of the ULB after the 1891 crisis), a couple of scientists as affectionate as they were exuberant; and where all the political and intellectual elite were accustomed to gather. In 1880, Ensor returned to Ostend. From then on, Ensor left this town only on rare occasions, and his life followed the rhythm of the bathing seasons and the festivities of the Carnival. 

In 1889, it was in the studio situated on the corner of the rue de Flandre and the boulevard Van Iseghem that Ensor completed L’Entrée du Christ à Bruxelles. The painting was presented the following year in the salon of Les XX. In 1887 however, in face of the prevailing rising enthusiasm for neo-impressionism, Ensor, who was seen as the leading figure, drew away from the group. The same year, the artist lost his father, the only man in the family, and the only one who morally supported his choice of an artistic career, and his maternal grandmother, a strongly eccentric source of inspiration. Death makes its grandiloquent entrance into his work, bearing the features of the figure of Christ, advancing triumphantly into the city, before receiving the insults of his peers. In 1891, the year of Squelette arrêtant masques, this process of martyrisation reached a peak in L’Homme de douleur (Man of Sorrows) where the identification with Christ is divested of almost all ambiguity. Also from 1891, another work (a small panel measuring 16 x 21,5cm) is crucial for an understanding of Ensor’s work in general, and of an unprecedented interpretation of Squelette arrêtant masques in particular. Through a play on words, Squelettes se disputant un hareng saur (Sketelons quarrelling over a Herring) evokes the identification of Ensor with Art (hareng saur = Art-Ensor).

Rediscovered today, Squelette arrêtant masques is the canvas that allows for the verification of the hypothesis that Ensor, from the beginning of the 1890s and as obsessed with death as he was by the sea, by masks and by himself, painted himself as a skeleton. A photograph taken in 1891 of Ensor in a hussar uniform, playing out a both humorous and disturbing comedy with Rousseau’s son, tends to confirm this. This would not be the first time that Ensor, who liked to experiment with different mediums, used photography as a source for his self-portraits. Two of these skeleton portraits, an etching of 1889, Mon portrait squelettisé (My Skeletonised Portrait), and a canvas of 1896-1897, Squelette peintre (Skeleton Painter) were directly inspired by them.

Around the Ensor-skeleton, seven colourful masks evolve in  a symbiotic relationship while at the same time playing a mysterious masquerade. A woman with a big white nose who is not embraced but spurned by the hussar, a pierrot just as white, a jeering, red-faced clown, a salacious veteran, a face with blue eyeballs and an old devil have arranged to meet. The masked ball takes place in the foreground. Horizontal and concentrated in the first plane that occupies half of the canvas, the composition of Squelette arrêtant masques evokes that of a contemporary work L’Intrigue (1890). At the time, Ensor frequented show halls, veritable reservoirs of social satire. But Ensor’s passion for masks had a previous and much more visceral origin. The primordial masks were that of his grandparents shop which was then run by the painter’s mother. From this baroque childhood where shells had the same reflections as the decoration of certain masks, dates Ensor’s incomparable capacity to mingle fiction and reality: “The extreme attention he brought to reality, paradoxically stimulated his imagination and pushed him to finding the extraordinary within the ordinary” (Sabine Taevernier, Ensor, Musée d’Orsay, 2009-2010, p.223). Once a year, the legendary carnival of Ostend, through the parodied reversal of social codes, brought to a peak this tacit collusion of genres which went as far as defining the vision and stridency of Ensor’s art.

Deprived of superfluous accessories, the figures differ from each other in the multicoloured characteristics of their finery. Captured at mid-waist, they stand out against one of the most beautiful pieces of sky painted by Ensor. Qualified by his friend Verhaeren as “The Master of Masks”, Ensor had a remarkable mastery of colour and light. Emerging from the limbo of time, Squelette arrêtant masques is the perfect example of this. If the strident colours of the costumed figures are consubstantial to the theme of the prank of which they are the puppets, Ensor’s greatness lies in the daring and irreverent manner in which he contrasts pure and scandalous colours. Alongside the vermillion, the garance red, the lemon yellow, the cerulean blue, what can be said of the heroic black of the skeleton’s clothes except that is it all the more radical and seductive? Whilst the sky in L’Intrigue was low and of a dusky grey, the sky of Squelette arrêtant masques is vast and agitated, tinged with pink and blue. It must not be forgotten that if he lived amidst the sparkling bric-a-brac of the curiosity shop, Ensor also lived by the sea and its vast airy spaces. On the beach, where he was accustomed to walk, and from the large window of his studio, he was able to observe the play of light that he wrote he was in love with. Under the palette knife, the sky, soaked in different shades, became an independent pictorial creation. Biographers of Ensor are in agreement that in 1886-1887, at the time of his stay in London, works by Turner were exhibited at the National Gallery. There is no doubt that Ensor must have known of his work. In Squelette arrêtant masques, the lyricism of the brushstrokes and the sensuality of the painted surface reveal, beneath the facture, the expressive and imaginary strength of the depiction of the painter’s light.