- 305
Importante commode ovale ou en tambour arrondi par les deux bouts en marqueterie à fond de de cuivre, écaille brune et étain gravés, placage d’ébène d’époque Louis XIV, vers 1705-1715 attribuée à André-Charles Boulle, estampillée E. LEVASSEUR et JME
Description
- copper, tortoiseshell, ebony, marble, tin
- Haut. 89 cm, larg. 126 cm, prof. 54 cm
- Height 35 in; width 49 2/3 in; depth 21 1/4 in
Provenance
-vente à Paris, Me Laurin, palais Galliéra, le 12 décembre 1964, lot 82 (illustrée en couverture du catalogue)
-collection privée, Paris
Literature
-A. Pradère, « Lerouge, Le Brun, Bonnemaison, le rôle des marchands de tableaux dans le commerce du mobilier Boulle, de la Révolution à la Restauration », Revue de l’art, n° 184, février 2014
-Peter Hughes, «Le Grand Trianon Commodes by André-Charles Boulle and their Influences », Makers, Dealers and Collectors. Studies in Honour of Geoffrey de Bellaigue, The Furniture History Society, 2007, p.195-203
-J-R. Ronfort, André-Charles Boulle (1642-1732), un nouveau style pour l’Europe, cat. expo Francfort, 2009
Condition
"In response to your inquiry, we are pleased to provide you with a general report of the condition of the property described above. Since we are not professional conservators or restorers, we urge you to consult with a restorer or conservator of your choice who will be better able to provide a detailed, professional report. Prospective buyers should inspect each lot to satisfy themselves as to condition and must understand that any statement made by Sotheby's is merely a subjective, qualified opinion. Prospective buyers should also refer to any Important Notices regarding this sale, which are printed in the Sale Catalogue.
NOTWITHSTANDING THIS REPORT OR ANY DISCUSSIONS CONCERNING A LOT, ALL LOTS ARE OFFERED AND SOLD AS IS" IN ACCORDANCE WITH THE CONDITIONS OF BUSINESS PRINTED IN THE SALE CATALOGUE."
Catalogue Note
Il s’agit sans conteste d’un meuble atypique tant la forme est inédite dans l’histoire du mobilier, un prototype en quelque sorte de ce qui allait devenir le meuble emblématique du XVIIIe siècle : la commode. Ce meuble est un des tous premiers modèles de commode propre à l’ébéniste, dont la forme dérive des bureaux à huit pieds qui ont reçu des tiroirs sur la longueur de la façade pour les adapter à leur nouvelle fonction de meuble de rangement. L’évolution des formes est amorcée, il s’agit ici d’une phase intermédiaire avec six pieds, deux pieds ont disparu et quatre subsisteront sur le modèle abouti, où seul l’avant-corps central contenant les tiroirs sera finalement conservé. Cette commode est passionnante car elle illustre une recherche permanente de l’ébéniste dans le renouvellement des formes. Les rapprochements et comparaisons sont rendus faciles avec le recul du temps mais remis dans le contexte de l’époque, ce meuble est un témoignage remarquable de l’inventivité et de la créativité d’André-Charles Boulle.
En détaillant sa production et ses dessins préparatoires, on se rend compte que ce modèle très original est directement inspiré de projets ou de réalisations qu’il a lui-même conçu antérieurement mais aussi décliné a posteriori, la période 1705-1715 semblant être la date charnière, oscillant entre innovation et conservatisme. L’examen détaillé de différents documents permet d’isoler plusieurs caractéristiques que l’on retrouve réuni sur ce meuble novateur.
-Projet pour une commode à montants en fuseau et à pieds en colimaçon, vers 1690 (fig.1)
Projet hybride d’une transformation de la forme de cabinets avec un avant-corps contenant des tiroirs vers ce qui deviendra une commode.
-Le plateau en quart de rond avec décrochement suggéré sur la fig. 1 est matérialisé sur un projet de commode et cadre de miroir conservé à Saint-Petersbourg au musée de l’Ermitage (fig. 2) qui s’inscrit dans la continuité de la fig.1 . A cet égard, l’amorce du montant détaché à facettes constitué d’enroulement de feuilles d’acanthe est bien reconnaissable sur la vue de côté.
-Toujours dans cet esprit, le projet de commode à plateau ovale à décrochement, avec un montant latéral qui se détache du corps de la façade tiré de la planche de Mariette autorise bien des rapprochements (fig. 3). Le pied cambré situé sur le côté de la commode est identique à ceux des tables consoles ou tables en bureau.
-Les côtés évoquent les tables à six pieds ou la table en bureau avec ses montants fuselés à facettes latéraux que l’on retrouve aussi sur les tables à brandons.
-Un avant-corps contenant les tiroirs, comme celui des commodes Fabius (fig. 7), encastré dans une structure rappelant les projets cités supra.
Les bronzes :
Comme nous venons de le voir, la forme est unique et s’apparente à une compilation issue de différents projets. S’agissant du décor de bronze doré, plusieurs éléments ornementaux appartiennent au répertoire de Boulle ce qui permet de les rapprocher de décors existants sur d’autres réalisations de l’ébéniste :
-Le masque surmonté d’une coquille et le décrochement cintré présent au centre du le tiroir du bas se retrouve sur la commode Axa présentée à l’exposition de Francfort (n° 18).
-La gerbe de feuilles d’acanthe formant poignée sur le tiroir supérieur (inversée) ainsi que les entrées de serrure à têtes de coq se retrouvent sur la paire de commodes dites Mazarines, livrées pour le roi Louis XIV à Trianon en 1708. A cet égard, il est intéressant de noter que l’une des plaques possède au revers une marque en creux (non visible sur le dessus) composée de L entrelacés (voir fig. 5), marque également présente sur les entrées de serrure des commodes Mazarines, livrées pour le roi Louis XIV ; (information aimablement communiquée par monsieur Yannick Chastang).
-les deux modèles de poignées ont été largement utilisés par Boulle.
-le double enroulement d’acanthe sur le haut du pied latéral assure la transition de la fin du montant et la naissance du pied à vis sur les commodes de l’ancienne collection Guerlain (voir collection Fabius, vente Sotheby’s Paris le 26 octobre 2011, lot 127 et galerie Steinitz en 2010).
-les pieds en vis ou colimaçons ont servi de terminaison sur les montants latéraux des tables consoles à six pieds
Un meuble de forme originale répertorié dès le début du XVIIIe siècle et apprécié pendant tout le siècle
Les œuvres de Boulle fascinèrent ses contemporains ainsi que les amateurs et marchands durant tout le XVIIIe siècle. Elles furent recherchées et transmises, passant d’un cabinet à l’autre au gré des successions et des ventes. Dans le catalogue de la vente de la collection Angran de Fonspertuis en 1748, les meubles d’Andrés-Charles Boulle sont particulièrement mis en valeur par une mention flatteuse : « Les ouvrages de cet habile homme sont toujours recherchés avidement des curieux, quoiqu’ils soient différents d’un goût de celui qui règne aujourd’hui. Malgré leur ancienneté, ils servent toujours de preuves à la réputation que s’était si justement acquise, dans le genre de l’ébénisterie, cet excellent artiste, & ils donnent encore des témoignages authentiques de sa célébrité. »
La mention « en tambour par les deux bouts » signifie que les extrémités de la commode sont arrondies, synonyme de la désignation « commodes ovalles », elle aussi utilisée dans les descriptions du XVIIIe siècle. On en relève dans l’acte de délaissement d’André-Charles Boulle dressé en 1715 « une commode de quatre pieds de long en tambour, par les deux bouts, avec sa contre-partie commandées par m. de La Croix. Il s’agit ici d’un modèle à deux tiroirs que l’on retrouve 15 ans plus tard dans l’inventaire après décès du financier Claude-François de La Croix qu’il possédait dans son hôtel de la rue Saint-Antoine, avec deux autres commodes similaires (voir J-P Samoyault, op.cit.). Une est décrite dans la vente Crozat baron de Thiers, 26 février-27 mars 1772, n° 1113 ; une autre dans la vente Lambert, le 27 mars 1787, n° 301 précisément décrite et qualifiée de meuble qui « réunit à la belle exécution une forme aussi agréable que rare à rencontrer ».
Ainsi que le n° 302 : « La contrepartie du meuble précédent, & aussi beau ».
Notre commode apparait dans la vente Rohan-Chabot, le 10 décembre 1787, n° 317 :
1254 livres à LeRouge. »
Dans cette vente les lots 1 à 99 proviennent de la collection Rohan-Chabot décrits dans l'inventaire après-décès de sa femme le 22 décembre 1786 (Elisabeth Louise de la Rochefoucauld femme de Louis Antoine Auguste de Rohan duc de Chabot). Le supplément, du lot 100 à la fin, semble avoir été entièrement monté par Jean-Baptiste Lebrun, expert en vente publique et marchand de tableaux, comme il avait coutume de le faire (voir supra) bien que le frontispice du catalogue mentionne « le tout provenant du cabinet de M. le Duc de Ch*** ».
L’identification dans la vente Rohan Chabot confortée par l’intervention d’Etienne Levasseur
La comparaison avec la commode Brownlow (fig. 9), qui est à ce jour le seul modèle connu au décor (en première partie) et à l’ornementation de bronze doré scrupuleusement identiques, laisse à penser qu’elles furent réalisées ensemble, en pendant. La structure originale réalisée au début du XVIIIe siècle, avait un plateau de marbre encastré dans une bordure de bronze doré qui venait coiffer le tiroir supérieur comme on peut le voir sur la commode Brownlow, sur celle en marqueterie de fleurs de l’ancienne collection de Pauw, et sur les exemples plus tardifs de la collection Wallace.
Par rapport à la commode Brownlow, la seule différence notable réside dans la frise de feuilles d’acanthe surmontant le tiroir supérieur qui a certainement été ajoutée par Etienne Levasseur (reçu maître ébéniste en 1767) vers 1770-1780 et qui permet aussi de l’identifier dans la vente Rohan-Chabot de 1787 par la mention « l’entablement et les côtés à moulures, à feuilles » tandis que le reste de la description coïncide en tout point. Levasseur a rehaussé la commode originale en modifiant le bâti par l’ajout d’une structure de 7 cm de haut (fig. 9), très distinctement repérable sur le dos du meuble et orné la façade et les côtés d’une frise d’acanthe en bronze doré. Il est intéressant de noter que le traitement du bronze sur cette frise feuillagée évoque celui habituellement rencontré sur des bronzes du début du XVIIIe et non la ciselure typique des années 1780.
Ce type d’intervention était très courante, souvent menées par des ébénistes comme René Dubois, J.-F. Delorme, Montigny ou Séverin qui s’étaient spécialisés dans la remise en état et la fabrication de « meubles Boulle ». Etienne Levasseur fut probablement le principal d’entre eux, il restaura, transforma, adapta, réutilisa ou créa des meubles destinés à ses contemporains, amateurs de meubles de Boulle. L’ébéniste intervenant ici comme restaurateur, adaptait sensiblement le meuble probablement pour le mettre au goût du jour tout en apposant fièrement son estampille sur une création de son illustre prédécesseur. L’objectif de cette intervention était ici de rehausser le meuble qui, probablement destiné à l’origine à une pièce de dimensions modestes, devait désormais au regard des nouveaux critères esthétiques des années 1780 être placé dans une galerie où cohabitaient tableaux et meubles de Boulle permettant de présenter des collections d’antiques, de bronzes et d’objets d’art, comme celle de Jean-Baptiste Le Brun dont l’influence sur ses contemporains et collectionneurs a été décrite par A. Pradère (op. cit).
La paire de commodes Hamilton ont elles aussi été reprises ultérieurement, mais de manière moins convaincante il faut en convenir.
Nicolas Lerouge (1752-1827), marchand de tableaux et de meubles de Boulle
Alexandre Pradère a très précisément étudié le commerce des meubles Boulle dans le dernier quart du XVIIIe et au début du XIXe siècle (voir références bibliographiques) par l’intermédiaire de marchands parisiens extrêmement actifs et incontournables comme Jean-Baptiste Le Brun qui utilisa notamment les ventes aux enchères et sa galerie de présentation située dans sa demeure parisienne comme mode de commercialisation de son stock. Jean-Baptiste Le Brun a préparé la vente de la collection Rohan-Chabot et a très probablement complété le catalogue de vente avec des biens provenant de divers amateurs.
Nicolas Lerouge lié à Jean-Baptiste Le Brun (aîné) par son premier mariage était particulièrement actif vers 1785-1789 bien qu’il ait débuté son activité de marchand en appartement dans les années 1770. Les liens qui rapprochaient les deux hommes confortèrent certainement leur commerce et association où bon nombre de meubles de Boulle ont transité par leur intermédiaire, en tant qu’agent, vendeur ou acheteur. Si l’on prend comme exemple notre commode, elle fut présentée en vente publique par J-B. Le Brun en décembre 1787 et achetée par Lerouge qui possédait déjà « une commode de Boule » signalée dans la chambre à coucher du couple Lerouge dans l’inventaire dressé après le décès de son épouse en avril de la même année. Lerouge a racheté divers meubles dans la vente de Lebrun aîné en 1791 avant de lui confier à la fin de 1799 la totalité de son fonds de marchandises. Les rouages complexes de ce type d’activité mettent en avant le schéma commercial de la fin du XVIIIe siècle et les opportunités qu’offrait le négoce des meubles Boulle.
Les exemplaires répertoriés :
-La commode Brownlow (Christie’s à Londres le 13 mars 1929, lot 83), le pendant de notre commode, en marqueterie en première partie ; même ornementation de bronze doré ; avec un plateau en marbre veiné ceint d’une bordure en bronze doré. La description de commode n°1113 de la vente Crozat de Thiers peut correspondre à cette commode ; (fig. 11)
-La commode Rosebery (Sotheby’s Londres, le 17 avril 1964, lot 27) puis galerie Aveline : structure identique, en première partie et encadrement d’amarante, décor différent ; (fig. 12)
-la paire de commodes Hamilton, provenant de la collection du duc de Hamilton, vente les 17 et 19 juin 1882, lots 1282 et 1283, puis collection Mc Ilhenny, aujourd’hui conservée au Philadelphie Museum of Art (inv. 1986-26-82 et 83) : en marqueterie, première et contre-partie, même décor feuillagés ; (fig. 13)
-la commode Hodgkins, reproduite dans Feulner, Berlin, 1927, p.351
-la commode Ganay, vente à Paris, les 8-10 mai 1922, lot 255, en placage d’ébène et transformée.
-la paire de commodes de la collection Wallace à Londres, en marqueterie en première partie, réalisées vers 1850 (inv. F403-4)
-la paire de commodes Westminster, vente Christie’s Londres, le 12 mars 1925, lot 104
-la commode de Pauw (vente Sotheby’s Monaco, le lot 624) autrefois galerie Aveline entièrement en marqueterie de fleurs et bois de rapport ; (fig. 14).