Lot 109
  • 109

Manet, Edouard -- Edgar Allan Poe -- Stéphane Mallarmé

Estimate
80,000 - 120,000 EUR
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Description

  • Manet, Edouard -- Edgar Allan Poe -- Stéphane Mallarmé
  • Le Corbeau. The Raven. Paris, Richard Lesclide, 1875.
  • paper, ink, vellum
Somptueux exemplaire, sans doute le plus complet connu, avec les illustrations sur Hollande, Chine ou Japon.

In-folio (553 x 395 mm). En feuilles, à toutes marges. Chemise souple de papier parcheminé illustrée, sous chemise cartonnée couverte de papier parcheminé, illustrée sur le premier plat et imprimée de la liste des publications de la Librairie de l'Eau-forte au second plat, dos de percaline crème, avec ses attaches de soie crème (Chemises de l'éditeur). Sous une chemise à rabats en demi-maroquin noir à bande et plats de soie beige, étui recouvert de balsa bordé de Mercher.
Quelques piqûres sur la chemise souple de parchemin et sur un des deux ex-libris. Minimes frottements à la coiffe inférieure de la chemise et de l'étui de Mercher. Tache d'encre au tirage dans la marge supérieure du Buste sur Japon. Petite déchirure dans la marge gauche de l'épreuve sur Chine de Sous la Lampe. Minuscules déchirures et plissures marginales des gravures dues à la nature des papiers Chine et Japon ancien.



Un monument de la poésie illustrée du XIXe siècle : The Raven, magnifique poème de l'Américain Edgar Allan Poe, traduit par Stéphane Mallarmé et illustré par Édouard Manet.
Mallarmé et Manet s’adressent d’abord à Alphonse Lemerre, qui a déjà publié Mallarmé dans Le Parnasse contemporain en 1866 et 1869 ainsi que des gravures de Manet dans le Charles Baudelaire d’Asselineau en 1869. Après le refus de Lemerre, qui juge la traduction de Mallarmé "absolument obscure" (lettre du 13 mars 1875), le poète s’adresse à Bachelin-Deflorenne, qui ne donne pas suite. Manet se tourne alors vers Richard Lesclide, éditeur à la Librairie de l'Eau-Forte, pour lequel il a déjà illustré Le Fleuve de Charles Cros en décembre 1874. L’impression se fera avec le concours de l'imprimeur-graveur Lefman et de l'imprimeur typographe Alcan-Lévy.
L'œuvre est prête à être mise sous presse en mai 1875. Homme de bonne volonté, Lesclide, éditeur moderne passionné par les nouvelles tendances graphiques et impatient de publier Le Corbeau, premier livre d'une série à venir, se mesure ici à deux artistes d'une très grande exigence. Optimiste quant au succès du livre, mais sans perdre son sens des réalités ni sa prudence, il choisit de se plier à leurs volontés, perfectionnistes : retirage du texte de la traduction pour Mallarmé, refus de Manet d'approuver le tirage d'À la fenêtre, faux-frais grandissants, caprices aussi (fabrication d'un cartonnage, d'une affiche) entraînent de dangereux retards pour le bon à tirer et l'incapacité de Lesclide à respecter la date de parution, fixée au 1er juin.
Libraires désenchantés, critiques peu favorables dans l'ensemble, public troublé par les partis pris novateurs des deux artistes : le lancement -- tant attendu et tant préparé -- est un échec. Lesclide et Mallarmé se tournent alors vers l'étranger, surtout l'Amérique, comptant sur des commandes en grand nombre. "Saint Corbeau, priez pour nous !", s’exclame Mallarmé, dépité (Correspondance, IV, p. 411). Là encore, un échec. En novembre, les relations se détériorent entre l'éditeur et les artistes ; Mallarmé est soucieux de reprendre tout exemplaire, même incomplet, allant même jusqu'à menacer Lesclide, réticent à lui confier les invendus, d'un procès. Malgré le soutien de quelques journalistes, les efforts de Mallarmé et le courage de Lesclide, une faible partie seulement du tirage est écoulée. Il semblerait que Lesclide, ruiné, ait tenté de solder les invendus. Il dépose le bilan en janvier 1877. Le volume, qui devait être le premier d’une série, n’aura jamais de suite. En 1886, Léon Vanier annonce que le reliquat du Corbeau est en vente dans sa librairie.



Edition originale de la traduction de Mallarmé. Textes anglais et français juxtalinéaires.



Illustré de 4 grandes autographies hors texte et 2 grandes vignettes du Corbeau (couverture et ex-libris) par Manet.
Les illustrations étaient à choisir, sur Chine ou sur Hollande (pour 25 F). Quelques exemplaires comprenaient une double suite des illustrations, sur ces mêmes papiers (pour 35 F). La chemise cartonnée et illustrée était également disponible en supplément (5 F). Tous les exemplaires devaient être signés de la main de Mallarmé et de Manet. Mallarmé envisagea un exemplaire entièrement imprimé sur Japon ancien à l’intention de Victor Hugo, sans que l'on sache s'il fut réalisé.



Un des 150 exemplaires imprimés (n° 42). Bien que 240 exemplaires aient été annoncés, on sait que seuls 150 furent effectivement imprimés et déclarés au Dépôt Légal (Wilson-Bareau et Mitchell, p. 273).
Justifié par Mallarmé, il porte les signatures autographes "Stéphane Mallarmé" et "E. Manet".
Exemplaire de second tirage sur Hollande, celui destiné à la vente, après quelques exemplaires d’essai.



Exceptionnel exemplaire, en feuilles et à toutes marges, complet de tous les éléments conçus pour l'édition.
Tiré sur Hollande épais, le texte est accompagné de 13 épreuves de Manet, sur différents papiers (Hollande, Chine ou Japon) et dans différents états (pour À la fenêtre et pour Sur le buste, les 2 autres étant dans le seul état connu). Notons que la taille des épreuves varie en fonction du papier.



a) Sous la lampe : 3 épreuves, sur Hollande (348 x 537 mm), sur Chine (390 x 553 mm) et sur Japon vergé mince (359 x 500 mm).



b) À la fenêtre : 4 épreuves
- Une rarissime épreuve refusée, sur Chine (555 x 380 mm), d’après le premier projet de Manet (variations dans le dessin des cheminées et du balcon), avec la trace d'indentation de la pierre. Elle est antérieure aux 4 autres états connus.
Wilson-Bareau et Mitchell qualifient une épreuve similaire conservée à la BnF d'"unique" : "The unique proof of a preliminary design for À la fenêtre seems excessively vigorous and even crude when compared with proofs of the final design. […] the contrasts between the bold, rather roughly applied brushstrokes and the white on the fine, soft on witch it is printed, are much starker, with many areas on the figure and the window guard left blank" (p. 288 et fig. 125).
- 4e état, 3 épreuves, dont 2 avec un encrage standard -- l'une sur Hollande (540 x 350 mm), l'autre sur Chine (542 x 393 mm) -- et une troisième, peu encrée, sur vergé mince (533 x 375 mm). Plus pâle, cette "seconde épreuve" (seconde impression avec l'encre résiduelle après une première impression) devait être un essai de l'imprimeur ou de Manet.
Ce 4e et dernier état est celui qui figure habituellement dans les exemplaires ; Manet éclaircit le ciel, souligne davantage les contrastes dans les bâtiments à l’arrière-plan et ajoute un conduit sur la cheminée centrale.



c) Sur le buste : 3 épreuves
- 1er état, avec la marque blanche sur le corbeau, sur Japon vergé mince (536 x 360 mm) ;
- 2e état pour les 2 autres épreuves, sur Hollande (550 x 352 mm) et sur Chine (555 x 393 mm).



d) La Chaise : 3 épreuves du seul état connu, l'un sur Hollande (542 x 353 mm), les 2 autres sur Chine (544 x 379 mm et 556 x 393 mm).



L’exemplaire comprend, en outre :
- la chemise illustrée d’une tête de corbeau du profil, en papier parcheminé. L’une des épreuves avec la mention du prix dans le coin inférieur droit (25 F), parfois absente.
- la chemise cartonnée illustrée, imprimée, au second plat, de la liste des publications de la Librairie de l'Eau-forte de Richard Lesclide. Réclamé par Mallarmé contre l'avis de l’éditeur, ce portfolio n’accompagne pas tous les exemplaires, car il était disponible seulement à la demande, pour une somme supplémentaire (5 F). Mallarmé aimait à s’en servir pour protéger les exemplaires qu’il envoyait à ses correspondants.
- Rare affiche illustrée imprimée en rouge et noir sur papier parcheminé (547 x 377 mm). Cette affiche fut réclamée par Mallarmé contre la volonté de Lesclide ; elle fut mise en page sous le contrôle du poète. On notera que les noms de Poe et de Manet sont imprimés dans le même corps, tandis que celui du traducteur est de bien plus petite taille. L’affiche annonce 5 dessins de Manet.
- 2 ex-libris illustrés sur papier parcheminé fin, de tailles différentes (255 x 290 mm et 255 x 348 mm, ce dernier d’un tirage moins encré).
- Liste des publications de la Librairie de l'Eau-forte. Une feuille de papier pelure (495 x 296 mm), volante.



La version refusée d’À la fenêtre est de toute rareté.
Les épreuves sur Japon, non commercialisées, semblent avoir connu une diffusion très restreinte.
Cet exemplaire n’est pas répertorié par Wilson-Bareau et Mitchell.



Références : Œuvres complètes, II, p. 723-734 et 1752-1756. -- J. Wilson-Bareau et Br. Mitchell, "Tales of a Raven The Origins and Fate of Le Corbeau by Mallarmé and Manet", in Print Quarterly, vol. 6, n° 3, sept. 1989, p. 258-307. -- M. Pakenham, "Le journal du Corbeau, dossier reconstitué à partir de la correspondance jusqu’à ce jour inédite de l’éditeur Richard Lesclide", dans E.A. Poe, Le Corbeau, Séguier, 1994. -- Chr. Galantaris, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, 2000, n° 250.

Catalogue Note