PF1332

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Lot 607
  • 607

Proust, Marcel

Estimate
200,000 - 300,000 EUR
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Description

  • Proust, Marcel
  • Du côté de chez Swann. Paris, Bernard Grasset, 1913. In-12. Maroquin rouge à grain long, décor d’encadrements de filets dorés à carrés d’angles, caissons d’entre-nerfs ornés d’un double filet, doublure de maroquin citron serti, orné de double filets en encadrements, gardes soie moirée or, doubles gardes, filet doré sur les coupes, tranches dorées sur témoins, couverture et dos (Randeynes & Fils).
Outre les habituelles caractéristiques de premier tirage (pas de table des matières, achevé d’imprimer par Ch. Colin à Mayenne à la date du 8 novembre 1913 au verso de la page p. [523], etc.), l’exemplaire de tête présente quelques différences par rapport aux exemplaires du tirage courant : la couverture est sur papier blanc (et non jaune), le nom de l’auteur sur le dos est tout en capitales (et non seulement le "P" initial), et le type de papier est mentionné sur le dos, là où, dans les autres exemplaires, figure le prix. Surtout, la faute au nom de Grasset est corrigée, ce qui tend à prouver que les exemplaires sur grand papier furent imprimés après plusieurs exemplaires sur papier ordinaire.

Exemplaire de Lucien Daudet. Seuls 5 exemplaires furent imprimés sur Japon, avant 12 exemplaires sur Hollande. Maurice Chalvet les a répertoriés en 1956 :
- n° 1 : Lucien Daudet, dont la dédicace est identifiée depuis 1991.
- n° 2 : Gaston Calmette.
- n° 3 : Jean Béraud.
- n° 4 : Jacques de Lacretelle (exemplaire disparu durant la Seconde Guerre mondiale).
- n° 5 : Louis Brun.



La dédicace à Lucien Daudet. Proust avait l’habitude d’écrire ses dédicaces sur les "fausses gardes", un feuillet blanc de vilain papier "sur lequel Proust inscrivait généralement ses dédicaces" (Max Brun, p. 10) et que, malheureusement les relieurs supprimaient souvent.



Avant de mourir en 1946, Lucien Daudet offrit à son médecin une boîte en carton contenant les lettres de Proust et, très certainement aussi le feuillet de dédicace qu’il avait déjà soustrait du livre. Cette correspondance, éditée en 1991 sous le titre Mon cher petit, lettres à Lucien Daudet, fit redécouvrir avec bonheur le précieux feuillet de dédicace suivant : "Mon cher petit vous êtes absent de ce livre : vous faites trop partie de mon cœur pour que je puisse jamais vous peindre objectivement, vous serez jamais un "personnage", vous êtes la meilleure part de l’auteur. Mais quand je pense que bien des années de ma vie ont été passées "du côté de chez Lucien", de la rue de Bellechasse, de Bourg-la-Reine, les mots "le Temps perdu" prennent pour moi bien des sons différents, bien tristes, bien beaux aussi. Puissions nous un jour le "retrouver". D’ailleurs pour vous qui avez peint la pagode de Chanteloup et les roses de Pâques tout est retrouvé et sera éternellement gardé." (repris par Kolb, Correspondance, XXI, n° 491). A l’instar de ce qu’il fit pour Gaston Calmette ("Je vous enverrai, dès que je l’aurai reçu, un exemplaire plus élégant de mon livre", écrit-il à Calmette; cf. Idem, XII, n° 154). Proust dédicaça d’abord un petit papier de Swann à Lucien Daudet (publiée dans Idem, XII, n° 157) en attendant de lui donner un Japon, qui, selon l’habitude des grands papiers, était tiré par la suite. Kolb date cette seconde dédicace, et donc ce cadeau, de décembre 1913.



A propos de cette dédicace, Michel Bonduel regrette : “J’ai dit que la page de garde portant la dédicace était arrachée. C’est détachée ou coupée qu’il fallait dire ; et l’histoire en est relatée par Michel [sic, pour Maurice] Chalvet dans un bref article de 1956 […]. C’est bien un mince feuillet qui porte cette dédicace. On aimerait pouvoir le remettre à sa place” (Mon cher Petit, 1991 p. 146-47). Que ce vœu soit un jour exaucé.



Le "cher petit" de Marcel Proust. L’amitié entre Lucien Daudet et Marcel Proust date d’octobre 1895, et se transforme peu à peu en passion, faisant succéder Lucien Daudet à Reynaldo Hahn dans le cœur de Proust. Leur correspondance passe d’ailleurs de "Cher monsieur" à "Cher ami", puis au très intime et protecteur "Mon cher petit" et même parfois, à "Mon rat". C’est l’allusion diffamatoire — mais fondée — de Jean Lorrain à leur relation qui poussa Proust à provoquer celui-ci en duel. Après la passion, l’amitié qui subsiste est désabusée ("Il est curieux de penser que nous nous sommes aimés", lui écrit Proust en 1901), mais les deux écrivains restent très proches et ne cessent d’échanger des services littéraires : après un brillant compte-rendu du Princes des cravates de Lucien en 1910, Proust lui soumet les épreuves de Swann et les modifications qu’il envisage. Un jour, Proust, empêtré dans la relecture de ses épreuves, lui écrit : "je suis très désireux de vous les envoyer parce que je sais bien que même si on lit un livre, on ne le relit pas […]. Mais enfin si cela vous amuse". Et Daudet de commenter : "Au reçu de cette lettre je suppliai Marcel Proust de m’envoyer des épreuves le plus vite possible. Je les reçus le surlendemain et passai toute cette journée et une partie de la nuit suivante à lire Swann. Je revins de là (car j’avais l’impression d’un voyage autant que d’une lecture) ébloui. J’essayai de lui dire tout de suite pourquoi j’étais ébloui" (Autour de soixante lettres de Marcel Proust, p. 65-67). Daudet lui propose des modifications ou l’interroge sur des passages qui lui semblent obscurs. A la sortie du roman, Lucien Daudet est l’un des premiers à publier un compte-rendu élogieux dans le Figaro du 23 novembre 1913 (reproduit dans Idem, p. 80-86), dont Marcel Proust, dans l’éternel doute qui l’empare sur le sort que la critique réservera à son œuvre, lui sera infiniment reconnaissant : "vous avez écrit à propos de moi des choses admirables. […] Je sais ce que vous avez fait pour moi, vous l’avez fait par bonté et par amitié pour le livre ; mais malgré cela, sachez que je ne serai pas en repos tant que je ne vous en aurai pas remercié." (Idem, p. 90).



Pour le remercier de son amitié, de son amour et de ses relectures, il ne pouvait pas faire moins que lui offrir le n° 1 du tirage de luxe.



Japon dans sa reliure ancienne d'origine.
Le relieur parisien Félix Randeynes eut pour successeur son fil Henri en 1935 ; la signature "Randeynes & Fils" laisse entendre qu’elle est antérieure à 1935. Devauchelle cite cette "excellente maison" comme l'une des plus anciennes à Paris, fondée en 1848 par Dubosc (III, p. 276).



Cela en fait le seul des 5 Japon dans sa reliure d'origine. En effet, outre, les n° 3 et 4 (brochés, le 4 étant perdu) et le n° 5 (dans une reliure de Huser), une incertitude concernait la datation des reliures des n° 1 et 2. A présent, il ne fait aucun doute que la reliure de ce n° 1, réalisée avant 1935, est antérieure à celle du n° 2, réalisée en 1937 et transformée de manière importante après 1950.



N° 1. “Il s’agit, écrit Chalvet, de l’exemplaire de Lucien Daudet. A l’origine, il portait, sur le mince feuillet précédant le faux-titre, une dédicace autographe. Il fut amputé (sic) de ce feuillet vers 1925, puis relié par Randeynes [et fils]”. La reliure est antérieure à 1935, date à laquelle le fils Henri s’établit seul. Ce que Chalvet ne pouvait savoir, c’est que Lucien Daudet  avait lui-même soustrait le feuillet (peut-être au moment de céder son exemplaire ?) et l’avait précieusement conservé avec les lettres de Proust à lui adressées, qu’il céda à son médecin en 1946 (cf. supra).



N° 2. Exemplaire de Gaston Calmette, le dédicataire, assassiné le 18 mars 1914. “Cet exemplaire, écrit Chalvet, aurait été acheté par Auguste Blaizot à [Le Gueltel, et non Le Garrec que Chalvet corrige dans plusieurs exemplaires], qui l’avait lui-même acquis, dans une manette, à l’Hôtel Drouot, lors de la dispersion des livres de Gaston Calmette. Ce n° 2 serait donc l’exemplaire du dédicataire”. Blaizot (ou un associé) le vendit à la duchesse Sforza. Il apparaît broché, sans précision de numéro, dans sa vente du 8 décembre 1933, experts Besombes et Giraud-Badin n° 575, où il fut adjugé 15 200 F à Blaizot (aimable confirmation du successeur de la Librairie Giraud-Badin, M. Jérôme Delcamp). Blaizot le racheta très probablement en pensant à Laurent Meeûs, qui le fit relier par son relieur attitré Georges Mercier en maroquin noir janséniste (cf. Wittock, 1982, n° 1405). Simonson, qui eut la collection en dépôt des mains de Mme Meeûs en octobre 1950, céda l’exemplaire à son ami Charles Hayoit (Sotheby’s, IV, 2001, lot 1157) ; on le retrouve ensuite dans la collection P. Leroy (Sotheby’s, juin 2007, lot 79).



N° 3. Exemplaire dédicacé au peintre Jean Béraud, broché. Décrit pour la première fois dans le catalogue n° 53 de Pierre Berès (1953 ?), n° 293, et gratifié d’une fiche squelettique qui ne spécifie rien sinon le prix le plus élevé du catalogue à 2 200 000 F (y était aussi vendu l’exemplaire d’Adolphe qui appartiendra à Simonson, voir notre lot 111). Exposé à l’exposition Marcel Proust en son temps, au Musée Jacquemart-André en 1971, n° 350a (collection particulière), il fut acheté à Georges Blaizot par Louis de Sadeleer en octobre 1972 au prix de 77 000 F.



N° 4. Exemplaire dédicacé le 20 avril 1918 à Jacques de Lacretelle, broché. Collection Paul Voûte, Drouot, 11/3/ 1938, n° 472, Georges Blaizot expert. Acheté 42 000 F par Ronald Davis (selon une annotation de Simonson dans son catalogue), sans doute directement pour sa cliente Alexandrine de Rothschild. Exemplaire disparu pendant la guerre.



N° 5. Exemplaire dédicacé à Louis Brun, directeur des éditions Grasset. Relié par Huser. Dans sa vente en 1942, Andrieux expert.



Quelques tavelures sur le second plat, sinon dans sa pure reliure d'origine.

Provenance

Raoul Simonson. Nous ignorons quand et à qui Simonson a acheté cet exemplaire. Il le donna à sa fille, collectionneuse et critique de Proust.

Literature

M. Chalvet, "Du côté de chez Swann. Liste des exemplaires de l’édition originale, tirés sur Japon et sur Hollande", in Le Livre et l’Estampe, avril 1956, n° 6. -- M. Brun, "Contribution à l'étude des premiers tirages de l'édition originale de Du côté de chez Swann", in Le Livre et l’Estampe, 1966. — L. Daudet, Autour de soixante lettres de Marcel Proust, 1929. — M. Proust, Mon cher petit. Lettres à Lucien Daudet, édition de M. Bonduelle, 1991.