PF1332

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Lot 414
  • 414

Apollinaire, Guillaume

Estimate
15,000 - 20,000 EUR
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Description

  • Apollinaire, Guillaume
  • Lettre autographe signée et datée à Lou, 3 juin 1915, 4 pp. in-8 (209 x 133 mm) sur 1 double f. vélin léger. Enveloppe avec suscription : “F.M.//La comtesse de Coligny-Châtillon/202 Bd St Germain/Paris (VIIe)”. Barrée au crayon avec cette mention par Lou ( ?) sur le côté : “trois [surcharge quatre] feuillets qui/n’ont pu être repérés./Et une fleur séchée [qui est dans l’enveloppe]”. Au verso, petites notes cursives biffées, probablement d’Apollinaire, au crayon “Nimes 30 janvier 15/si je mourrais ( ?) là-bas/ (…) le manuscrit/dans la chemise.//également le long poème du/ [un mot]/ (non il est parmi les/copies)”. C.p. 3/juin/15.
Lettre écrite au lendemain de l’érotique lettre "Lou ma rose" (cf lot 413). Voir illustration p. 66-67 et en 4e de couverture.

"Ma petite chérie
Mais quel est donc l’horrible mot que tu n’as pas écrit, tu te fais… quoi… je veux absolument savoir ?... Je te défends absolument d’avoir de mauvaises idées… " […]. Il évoque son départ. " Préviens-moi de ton départ pr que je puisse adresser mes lettres comme il faut… Mais, m’écriras-tu seulement ?... L’important est que tu sois bien… ne te préoccupe pas de moi… ça n’a pas d’importance… un obus moral ou matériel de plus ou de moins, maintenant je m’en fous…
D’ailleurs je sais bien que Toutou n’est probablement pas mon ami comme je suis le sien… il ne me connaît pas et s’en fout pas mal...
Au revoir, donc Ptit Lou…
J’espère toujours d’ailleurs te retrouver après la guerre —
Mais mon ptit Lou, ne crois pas qu’il y ait de reproches là-dedans, je t’aime bien, tu le sais et comme tu m’embrasses à la façon qui me fait quelque chose, je prends cela et après tout mon ptit Lou, je ne sais pourquoi je dis ça, je sais bien que tu m'aimes beaucoup, que Toutou est aussi mon ami, mais qu’il ne me connaît pas, qu’il ne peut avoir l’exaltation d’un poète ne l’étant point.
Amuse-toi – fais comme tu veux, tu es mon amie pour la vie, c’est tout et c’est assez mon ptit Lou adoré que j’embrasse de toutes mes forces, ptit Lou, mon ptit cœur, très chéri…. ".

Commence alors le poème "Lou, mon étoile", poème de 78 vers où se mêlent amour, érotisme et réalité sombre de la guerre. Il fut publié pour la première fois dans Ombre de mon amour en 1947 aux pages 122 à 124 :
 
"L’étoile nommée Lou est aussi belle aussi voluptueuse qu’une
jolie fille vicieuse
[…]
Ton royaume s’étend en plaines animées comme
les oiseaux

En plaines mouvantes comme un régiment
De Fantassins nomades
Etoile Lou, beau sein de neige rose
Petit nichon exquis de la douce nuit
Clitoris délectable de la brise embaumée
D’Avant l’Aube
[…]
Mais cette nuit est si belle !...
Je ne vois que l’étoile que j’aime
Elle est la splendeur du firmament
Et je ne vois qu’elle
Elle est un petit trou charmant aux fesses des nuages
Elle est l’étoile des Etoiles
Elle est l’étoile d’Amour
Ô nuit, ô nuit dure toujours ainsi
Mais voici
Les gerbes des obus en déroute
qui me voilent
mon étoile
 Je baisse les yeux vers les ténèbres de ma forêt
 […]
Etoile Lou fais-moi monter vers toi
Prends-moi dans ta splendeur
Que je sois ébloui et presque épouvanté
Que l’espace bleu se creuse à l’infini
Que l’horizon disparaisse
Que tous les astres grandissent
Et pour finir fais-moi pénétrer dans ton paradis
Que j’éprouve une sensation
De bien-être inouï
Que j’absorbe par toute ma chair, toute mon âme
Ta lumière exquise
Ô mon paradis!
Gui".

Il lui écrit chaque jour, la guerre fait rage et Gui pense à Lou. Il va continuer à lui écrire ainsi jusqu’au 16 janvier 1916, mais progressivement les lettres s’espaceront.
La relation entre Lou et Apollinaire est moins passionnée depuis la rencontre de Marseille du 28 mars 1915. Elle va progressivement se transformer en relation "amicale".
Peu à peu, Madeleine va remplacer Lou. Ils se rencontreront une dernière fois et fortuitement en 1917 ou 1918 à Paris, place de l'Opéra. " A ce moment Apollinaire avait été trépané. Ils allèrent se réfugier quelques instants, pour parler, sous cette grande porte jaune. [...] Entrevue navrante pour tous deux. Une sorte de fuite intime de part et d'autre. Lui était d'ailleurs déjà atteint, très émotif. Puis, se trouver ainsi soudain auprès d'une femme qu'il avait si profondément aimée et qui l'avait déçu... Reproches, entretien assez pénible. Entretien écourté où ils se sont regardés avec tristesse, et avec l'impression qu'ils ne se reverraient plus. Ce qui devait être, en effet " (André Rouveyre, Apollinaire, NRF, 1945, p. 202).
Apollinaire meurt de la grippe espagnole le 9 novembre 1918 à l'âge de trente-huit ans.



éditions : l’onirique, sensuel et incantatoire poème Lou, mon étoile a vu son édition nettement améliorée depuis la Pléiade de Décaudin. Si nombre de rejets ont été corrigés, il en reste deux chez Campa à parfaire : “callipyges” commence le vers (et non déesses) et “les oiseaux” vont à la ligne. Nos malheureuses compositions typographiques écornent tout. Car tel un diptyque s’ouvrant sur les deux pages intérieures, le poème couvre exactement chaque volet de ses 38 vers soit un chant amoureux de 76 vers. Ainsi, ayant raturé un vers p.3, il en rajoute un tout petit dernier, en caractères minuscules, avant sa signature déjà écrite, et ce cri est bien exclamatif (ce qu’on a jamais imprimé) : “O mon paradis !”. Quelques ponctuations encore à changer, mais constatons à nouveau la pauvreté du rendu typographique quand on voit, comme dans la lettre précédente, l’amplitude graphique et émotionnelle atteinte par ces mots douloureux transposés ici en capitales : “je sais bien que tu m'aimes beaucoup”.

Literature

Ombre de mon amour [poèmes seuls]. Genève, Cailler, 1947 (repris par M. Adéma au Livre club du libraire, 1960). – Lettres à Lou. Edition (intégrale) en fac-similé [mise au pilon]. Genève, Cailler, 1955, n° 177. – Œuvres poétiques. P., Gallimard, Pléiade, 1956, éd. par M. Décaudin. Poème LVI, p. 476-78. Ponctuation entièrement supprimée. – Lettres à Lou. [lettres avec poèmes] P., Gallimard, 1969, par M. Décaudin, 426-9. Ponctuation rétablie. – Réédition revue et complétée par L. Campa, Lettres à Lou, Gallimard, 2010, collection “L’Imaginaire”, n° 177.