PF1332

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Lot 413
  • 413

Apollinaire, Guillaume

Estimate
15,000 - 20,000 EUR
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Description

  • Apollinaire, Guillaume
  • Lettre autographe signée et datée à Lou, 2 juin 1915. 2 pp. sur 1 f. gr. in-4 (265 x 208 mm) papier pelure (plis d’envoi). Enveloppe avec suscription : “F.M.//La comtesse de Coligny-Châtillon/202 Boulevard Saint Germain/Paris (7e)”C.p. 2/juin/15.
"Epatante, mon Lou / l’idée de m’envoyer des feuilles de roses et de trouver ça pas convenable !... J’en ai ri une heure au moins et en même temps ça m’excitait rudement… car tu fais ça mon Lou à la perfection […] On reviendra Toutou et moi et tu verras comme on te soignera et on te rendra très très heureuse tout en te laissant libre pour ce qui concerne l’horticulture [mot répété]. Mon ptit Lou très adoré, le long baiser vicieux que tu m’as envoyé m’a mis dans un état épouvantablement exquis… Je me suis revu le maître de Lou, je la dominais entièrement ; Lou était malade d’excitation… et elle aimait Gui son dominateur à la folie. Lou n’était qu’un petit garçon que je fouettais par plaisir… pendant que le petit Lou tremblait de désir et d’amour, Lou n’était qu’un petit garçon pas sage, mais pas sage du tout… je faisais tomber son petit pantalon marin pour bien voir tes grosses fesses roses… un de mes bras passait sous ta taille et pressait très fort sur ton petit ventre dur et lisse qui jouissait sous cette pression… pendant que de l’autre main je te fouettais fort très très fort, t'obligeant à tenir tes grosses fesses roses, bien en l'air (...)". Et il lui raconte comment il la punit, la fouette, la prend.
Il évoque la guerre : "Cependant tout réfléchi j’ai peur que la guerre ne soit pas encore finie, à ce propos, petit chéri, je voudrais bien avoir ton avis. Tu sais que je t’adore, mais je t’aime surtout quand tu es gentille, quand tu es un peu à moi… ". Après le déchaînement physique du début de la lettre, Apollinaire redevient tendre : "Quand je te sens comme ça je ne rêve qu’à une chose : te prendre dans mes bras et à te bercer doucement, très doucement dans mes bras câlins, je veux aussi ton sommeil chéri, très chéri, moi près de toi, regardant tes jolis nichons gonflés et roses comme des églantines".

Commence alors le poème Lou ma rose, brûlant poème érotique  de 29 vers, publié pour la première fois dans Ombre de mon amour en 1947 aux pages 120 et 121 :

"Lou, tu es ma rose
Ton derrière merveilleux n’est ce pas la plus belle rose
Tes seins tes seins chéris ne sont-ce pas des roses
Et les roses ne sont-ce pas de jolis petits Lous
Que l’on fouette comme la brise
Fustige les fesses des roses dans le jardin
Abandonné
Lou ma rose ou plutôt mes roses
Tu m’as envoyé des feuilles de rose
O petite déesse
Tu crées les roses
Et tu fais les feuilles de roses
Roses
[…]
Et c’est avec joie que je risque de me piquer
En faveur de ta beauté
Je t’aime, je t’adore, je mordille tes feuilles de rose
Rose, reine des fleurs, Lou reine des femmes
Je te porte au bout des doigts ô Lou, ô rose
Au bout des doigts, en te faisant menotte
Jusqu’à ce que tu t’évanouisses
Comme s’évanouit le parfum
Des roses
Je t’embrasse, ô Lou et je t’adore
Gui".

Cette allusion aux roses et à la pratique érotique "faire feuille de rose" revient de façon rythmée tout au long de cette lettre et du poème qui y figure. Face à Lou, il éprouve constamment le besoin d’affirmer la supériorité du mâle (...) il lui décrit longuement [comme c’est le cas dans cette lettre] les "corrections réelles ou imaginaires qu’il lui inflige, à grands renforts de détails dont l’excès même est caractéristique. Il ne cesse de lui rappeler qu’en amour l’homme est le maître. Il goûte avec une évidente complaisance telles pratiques qui semblent lui plaire d’autant plus qu’elles paraissent imposées à une partenaire qui les redoute" (cf. Michel Décaudin, Apollinaire, Lettres à Lou,  Gallimard, "L’Imaginaire" p. VI).

Après l’entrevue ratée de Marseille, Apollinaire continuera à posséder son petit Lou de façon épistolaire uniquement. Il est au front, sans aucune présence féminine, et les images voluptueuses et érotiques qui lui viennent à l’esprit l’aident à supporter cette guerre si douloureuse. "La plupart des poèmes qu’en 1915 Lou a inspiré à Apollinaire, s’ils ressortissent à la poésie érotique, ne sont nés cependant ni de l’amour ni même de la débauche, mais de la continence forcée (...) ils n’expriment aucune passion profonde, mais trahissent simplement un besoin physique" (Pascal Pia, Apollinaire, Seuil "Ecrivains de toujours", 1954, p. 101-102). Lou a exalté la sensualité du poète, c’est la liberté sexuelle qu’il découvre avec elle. Elle est libre comme un garçon, d’où l’emploi répété du genre masculin quand il l’évoque. Leur histoire d’amour, fulgurante, se solda par une aventure amoureuse rapide et frustrante pour Apollinaire. Entier comme il était, il s’accommoda avec tristesse du ménage à trois que Lou lui imposa avec Toutou, son amant attitré avec lequel elle resta jusqu’à la mort de ce dernier en 1926.
Rapidement, Madeleine Pagès, jeune fille oranaise rencontrée dans le train le 2 janvier 1915, prendra la place de Lou dans le cœur du poète.

éditions : Le célèbre et sensuel poème Lou ma rose peut encore être retouché en 2 points dans l’édition Campa : “Je te porte au bout des doigts ô Lou, ô rose” (avec virgule). Le vers “Elles chantent le plus beau parfum, le plus fort/ le plus doux” demande le rejet de “le plus doux”. En analysant l’encre, l’on perçoit qu’il avait d’abord écrit “Elles chantent le plus beau parfum/le plus doux” et ensuite vint l’ajout avec virgule dans le blanc de la marge : “le plus fort”. Il y a une verticalité des mots centrés à respecter. Mais surtout le compte n’y est plus, car d’un poème de 30 vers, les typographies passent à 29 vers !
Plusieurs ponctuations à corriger dans la lettre. Un mot répété sauté : “on te rendra très très heureuse” (cf. deux redoublements cités supra).  Ce qui n’apparaît pas dans l’imprimé, c’est l’extraordinaire puissance et amplitude que prend le graphisme du mot possession sous sa plume : “je te forçais à cette possession qui te fait si mal et si peur”. Elle commence à "cette", grandit au maximum à "possession" puis retombe net. Cf. l’exemple de la lettre suivante.

Literature

Ombre de mon amour [poèmes seuls]. Genève, Cailler, 1947 (repris par M. Adéma au Livre club du libraire, 1960). – Lettres à Lou. Edition (intégrale) en fac-similé [mise au pilon]. Genève, Cailler, 1955, n° 176. – Œuvres poétiques. P., Gallimard, Pléiade, 1956, éd. par M. Décaudin. Poème LV, p. 475. Ponctuation entièrement supprimée. – Lettres à Lou. [lettres avec poèmes] P., Gallimard, 1969, par M. Décaudin, p.423-5. Ponctuation rétablie. – Réédition revue et complétée par L. Campa, Lettres à Lou, Gallimard, 2010, collection “L’Imaginaire”, n° 176.