PF1332

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Lot 411
  • 411

Apollinaire, Guillaume

Estimate
10,000 - 15,000 EUR
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Description

  • Apollinaire, Guillaume
  • Lettre autographe signée et datée à [la comtesse Louise de Coligny-Châtillon, la future Lou], Nice, [Lundi] 28 septembre 1914, 4 p. in-12 (175 x 112 mm) sur 1 double f. vergé crème partiellement filigrané.
"Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir [lorsqu’ils étaient allongés fumant de l’opium], j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire".
Il évoque alors le déjeuner de la veille qui marque leur première rencontre : "Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussitôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient.
C’est ce regard là que je revois partout, plutôt que vos yeux de cette nuit dont mon souvenir retrouve surtout la forme et non le regard.
De cette nuit bénie j’ai avant tout gardé devant les yeux le souvenir de l’arc tendu d’une bouche entr’ouverte de petite fille, d’une bouche fraîche et rieuse, proférant les choses les plus raisonnables et les plus spirituelles avec un son de voix si enchanteur qu’avec l’effroi et le regret où nous jettent les souhaits impossibles je songeais qu’auprès d’une Louise comme vous, je n’eusse voulu être rien d'autre que le Taciturne [la quatrième femme de Guillaume le Taciturne fut Louise de Coligny, fille de l’Amiral].
Puissé-je encore toutefois entendre une voix dont le charme cause de si merveilleuses illusions !
Vingt-quatre heures se sont à peine écoulées depuis cet événement que déjà l’amour m’abaisse et m’exalte, tour à tour si bas et si haut que je me demande si j’ai vraiment aimé jusqu’ici.
Et je vous aime avec un frisson si délicieusement pur que chaque fois que je me figure votre sourire, votre voix, votre regard tendre et moqueur il me semble que dussé-je ne plus vous revoir en personne, votre chère apparition liée à mon cerveau m’accompagnera désormais sans cesse.
Ainsi que vous pouvez voir, j’ai pris là, mais sans le vouloir, des précautions de désespéré, car après une minute vertigineuse d’espoir je n’espère plus rien, sinon que vous permettiez à un un [mot redoublé] poète qui vous aime plus que la vie de vous élire
pour sa dame et se dire,

ma voisine d’hier
soir dont je baise
les adorables mains,
votre Serviteur [majuscule de soumission]
passionné.
Guillaume Apollinaire".

En attendant son incorporation militaire, les démarches faites, Guillaume Apollinaire part pour Nice le 3 septembre 1914 avec son ami Henri Siegler-Pascal alors en permission de convalescence.
Le dimanche 27 septembre vers midi, veille de cette lettre, Apollinaire fait la connaissance, dans le vieux Nice, au restaurant Boutteau, d’une jeune femme de trente-trois ans dont il tombera éperdument amoureux : Louise de Coligny-Châtillon, future Lou. Divorcée depuis deux ans d’Emmanuel de Coudenhove, elle habite alors chez la cousine de son ex-mari Edmée de Marotte de Montigny à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Elles sont toutes deux infirmières bénévoles à l’hôpital militaire et mènent une vie assez libre. André Rouveyre décrivait ainsi Lou : "Gracieuse et novice aventureuse, frivole et déchaînée, prodigue à la fois et avare de soi, imprudente et osée, et plutôt d’ailleurs pour la frime que pour l’enjeu".
Apollinaire avait eu pour mission de convier Lou, qu’il ne connaissait pas, à aller fumer de l’opium le même soir chez Borie de la Merline. Ils furent placés côte à côte cette nuit-là et les vapeurs d’opium permirent au poète, consommateur occasionnel, de laisser transparaître l’impression que Lou avait produit sur lui. Fasciné par sa généalogie, à laquelle il fait allusion dès cette première lettre, Apollinaire commence alors une cour assidue.
"Marivaudage qu’exaspèrent quelques fumeries communes. Il croit trouver des encouragements dans une attitude dictée par 'l’étrangeté' du caractère de la jeune femme tour à tour provocante et inflexible, attirante et se dérobant soudainement. L’un et l’autre dansent avec quelque fadeur le "pas de la séduction". Elle, avec toute l’astuce féminine, use de la fausse franchise qui repousse en attirant et lui, l’assiège avec la plus attentive et poétique galanterie" (Marcel Adéma, Guillaume Apollinaire le mal-aimé, Plon, 1952, p. 191-192, lettre reproduite).
Mais las d’attendre, fatigué des avancées et des reculades de Lou, déçu et désespéré devant cet amour qui n’aboutit pas, il précipite son engagement militaire. Le 6 décembre, il partira rejoindre le 38e régiment d’artillerie de campagne en caserne à Nîmes : "ça a duré un mois. J’ai connu alors l’adorée, j’ai souffert un mois et demi, passé conseil de révision, pris, puis bonheur fou, ne pouvant plus me décider de signer l’engagement. J’ai signé finalement, ai tout rompu et suis parti à Nîmes sans laisser mon adresse ni mon nom polonais. Le lendemain de mon arrivée au corps elle était à la porte de la caserne et est restée 9 jours ici" (Apollinaire à Serge Férat le 15 janvier 1915, cf. Lettres à Lou , éd. Campa, p. V).

Editions : Leçons principales à revoir dans l’édition Campa : “aussitôt que”, et non “aussi tôt”.- “que vous permettiez à un un poète”. Redoublement supprimé, comme souvent, voir lettre précédente à Marc. – La fin de la dernière phrase doit être disposée en strophe : “ma voisine d’hier/soir dont je baise/les adorables mains,/votre Serviteur [majuscule de soumission]/passionné”.

Petite fente au pli médian inférieur sans incidence.

Literature

La Table ronde, n° 57, sept. 1952, p. 48,  1ère impression présentée par M. Adéma. -- Lettres à Lou. Edition en fac-similé [mise au pilon]. Genève, Cailler, 1955, n° 1. -- Œuvres complètes. P., Balland, Lecat, 1966, IV p. 800. 1ère édition “bibliophilique” par M. Décaudin. --  Lettres à Lou. P., Gallimard, 1969. Première édition commerciale par M. Décaudin, 11-2. -- Réédition revue et complétée par L. Campa, 2010, collection “L’Imaginaire”, n° 1.

Catalogue Note

En attendant son incorporation militaire, les démarches faites, Guillaume Apollinaire part pour Nice le 3 septembre 1914 avec son ami Henri Siegler-Pascal alors en permission de convalescence.
Le dimanche 27 septembre vers midi, veille de cette lettre, Apollinaire fait la connaissance, dans le vieux Nice, au restaurant Boutteau, d’une jeune femme de trente-trois ans dont il tombera éperdument amoureux : Louise de Coligny-Châtillon, future Lou. Divorcée depuis deux ans d’Emmanuel de Coudenhove, elle habite alors chez la cousine de son ex-mari Edmée de Marotte de Montigny à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Elles sont toutes deux infirmières bénévoles à l’hôpital militaire et mènent une vie assez libre. André Rouveyre décrivait ainsi Lou : "Gracieuse et novice aventureuse, frivole et déchaînée, prodigue à la fois et avare de soi, imprudente et osée, et plutôt d’ailleurs pour la frime que pour l’enjeu".
Apollinaire avait eu pour mission de convier Lou, qu’il ne connaissait pas, à aller fumer de l’opium le même soir chez Borie de la Merline. Ils furent placés côte à côte cette nuit-là et les vapeurs d’opium permirent au poète, consommateur occasionnel, de laisser transparaitre l’impression que Lou avait produit sur lui. Fasciné par sa généalogie, à laquelle il fait allusion dès cette première lettre, Apollinaire commence alors une cour assidue.
"Marivaudage qu’exaspèrent quelques fumeries communes. Il croit trouver des encouragements dans une attitude dictée par "l’étrangeté" du caractère de la jeune femme tour à tour provocante et inflexible, attirante et se dérobant soudainement. L’un et l’autre dansent avec quelque fadeur le "pas de la séduction". Elle, avec toute l’astuce féminine, use de la fausse franchise qui repousse en attirant et lui, l’assiège avec la plus attentive et poétique galanterie" (cf. Marcel Adema, Guillaume Apollinaire le mal-aimé, Plon, 1952, p. 191-192, lettre reproduite).
Mais las d’attendre, fatigué des avancées et des reculades de Lou, déçu et désespéré devant cet amour qui n’aboutit pas, il précipite son engagement militaire. Le 6 décembre, il partira rejoindre le 38e régiment d’artillerie de campagne en caserne à Nîmes : "ça a duré un mois. J’ai connu alors l’adorée, j’ai souffert un mois et demi, passé conseil de révision, pris, puis bonheur fou, ne pouvant plus me décider de signer l’engagement. J’ai signé finalement, ai tout rompu et suis parti à Nîmes sans laisser mon adresse ni mon nom polonais. Le lendemain de mon arrivée au corps, elle était à la porte de la caserne et est restée neuf jours ici" (Apollinaire à Serge Ferat le 15 janvier 1915, cf. Lettres à Lou , p. V).

éditions : Leçons principales à revoir dans l’édition Campa : “aussitôt que”, et non “aussi tôt”.- “que vous permettiez à un un poète”. Redoublement supprimé, comme souvent, voir lettre précédente à Marc. – La fin de la dernière phrase doit être disposée en strophe : “ma voisine d’hier/soir dont je baise/les adorables mains,/votre Serviteur [majuscule de soumission]/passionné”.
Petite fente au pli médian inférieur sans incidence.