PF1305

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Lot 3
  • 3

Jean Dubuffet

Estimate
1,000,000 - 1,500,000 EUR
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Description

  • Jean Dubuffet
  • Les Riches fruits de l'erreur
  • signé, dédicacé à Max Loreau et daté 63; signé, titré et daté mars 63 au dos
  • huile sur toile
  • 114 x 146 cm; 44 7/8 x 57 1/2 in.
  • Exécuté le 12 mars 1963.

Provenance

Max Loreau, Bruxelles
Waddington Galleries, Londres
Galerie Xavier Hufkens, Bruxelles
Collection particulière, Bruxelles
Collection particulière, Paris

Exhibited

Venise, Palazzo Grassi, Centro Internazionale delle Arti e del Costume, L'Hourloupe di Jean Dubuffet, 15 juin-15 octobre 1964; catalogue, no.7
New York, The Solomon R. Guggenheim Museum, Jean Dubuffet , 1962-66, 25 octobre 1966-février1967; catalogue, no.8, illustré
Bâle, Kunsthalle, Jean Dubuffet : L'Hourloupe, 6 juin-2 août 1970; catalogue, no.9
New York, The Solomon R. Guggenheim Museum, Jean Dubuffet: A Retrospective, 26 mars-29 juillet 1973; catalogue, no.122, p.152, illustré en couleurs
Paris, Galeries nationales du Grand Palais, Jean Dubuffet, 28 septembre 1973-20 décembre 1973; catalogue, no.152
Le Havre, Musée des Beaux-Arts André Malraux, J. Dubuffet : peintures, sculputres, dessins, 18 février-28 mars 1977; catalogue, no.22
Londres, Waddington Galleries, Jean Dubuffet: L'Hourloupe, 12 mai-11 juin 1994; catalogue, p.12, no.6, illustré en couleurs

Literature

Lorenza Trucchi, Jean Dubuffet, Rome, 1965, p.280, no.268, illustré
Max Loreau, Dubuffet et le voyage au centre de la perception, Paris, 1966, illustré
Max Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XX - L'Hourloupe I, Lausanne, 1966, p.66, no.129, illustré
Rolf-Gunter Dienst, Positionen : Malerische Malerei-Plastische, Cologne,1968, no.7, illustré
Max Loreau, Jean Dubuffet : délits, déportements, lieux de haut-jeu, Paris, 1971, p.429, illustré en couleurs
Max Loreau, Jean Dubuffet : stratégie de la création, Paris, 1973, illustré
Renato Barilli, Dubuffet : cycle de l'Hourloupe, Paris, 1976, p.26, no.26, illustré
Renato Barilli, Dubuffet : ogetto e progetto, il ciclo dell'Hourloupe, Milan, 1976, p.26, illustré
Jacinto Lageira, Le Monde de l'Hourloupe, Paris, 2001, illustré en couleurs
Jean Dubuffet, Londres, 2004, pp.28-29, illustré en couleurs
Claude Simon, Oeuvres, Paris, 2006, p.1451, illustré

Condition

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Catalogue Note

Fernand Léger, Les Plongeurs en rouge et bleu, 1942-43 © D.R.

Mise au point de l'affiche destinée à l'exposition "L'Hourloupe" au Palazzo Grassi, à l'arrière plan, Les Inconsistances, Vence, avril 1964 © Max Loreau

 

 

On connait l’histoire de la genèse de L’Hourloupe, ces dessins tracés sans y prendre réellement garde pendant les longues conversations téléphoniques de Jean Dubuffet, formes libres de toute représentation mais s’encastrant minutieusement entre elles jusqu’à former un tissu continu,  puis, tout aussi mécaniquement remplies de lignes parallèles tracées au stylobille bleu ou rouge, simple occupation de la main restée libre tandis que l’autre tient le récepteur. Cette forme de graffiti - que favorise l’usage du téléphone - finit d’habitude dans la corbeille à papier. A l’été de 1962, Dubuffet s’aperçoit que certains groupes de ces cellules striées possèdent un pouvoir d’évocation, suggérant de manière inattendue, lorsqu’on les isole d’un coup de ciseau et qu’on les appose sur un fond noir, un bestiaire à la fois familier et loin de toute convention de représentation.

     Ainsi paraîtra en juillet 1963, par les soins de Noël Arnaud et sous le simple titre de L’Hourloupe, une petite plaquette de reproductions de ces dessins de téléphone titrés et commentés par le peintre à la manière de ces livres en « jargon » que Dubuffet réalise périodiquement depuis Ler dla Canpane (1948). Mais à la différence des écrits précédents, fondés d’abord sur le principe d’une écriture phonétique, les textes de L’Hourloupe, même s’ils mentionnent d’étranges figures (Cerviteure, Nautère, Santinaile…) ou animaux (Jénice, Moucetic…), relèvent surtout de ce que Dubuffet lui-même nommera un « jargon absolu c'est-à-dire formé de mots inventés et dont la signification est problématique ». Il n’était pas jusqu’au nom même – incongru mais inoubliable – du livre qui en effet faisait problème.   

     Dubuffet, dans sa Biographie au pas de course, assurera qu’il « l’associait par assonance, à « hurler », « hululer », « Riquet à la houppe » et [au] titre « Le Horla » du livre de Maupassant inspiré d’égarement mental » mais il oubliera de mentionner, craignant sans doute que l’on y voit simple jeu de bonneteau, La Rue de l’Entourloupe (1963), titre d’une de ses propres peintures dont l’écriture relie singulièrement le style des premiers tableaux de ce nouveau cycle – le plus long de l’œuvre de Jean Dubuffet - à l’esprit des œuvres de Paris-Circus qui l’avait juste précédé. Comme celles-ci, en effet, les premières peintures de L’Hourloupe privilégient un décor urbain où les figures striées de bleu et de rouge sont le plus souvent enchâssées comme images votives en embrasures de portes ou cadres de fenêtres.      Chaque expérience de Dubuffet, chaque invention est pour lui occasion d’en tenter une version plus radicale : avec Les Riches fruits de l’erreur, peint le 12 mars 1963, Dubuffet trouve soudain ce qui va devenir l’esprit même de L’Hourloupe : plus de notions de lieu, de substrat d’architecture, plus de fond où se détache l’image, plus de figure individuée. Le tableau semble dès lors un fragment d’un continuum sans commencement ni fin, arbitrairement découpé, comme l’image de la caméra ne cadre qu’un détail en ignorant l’agitation du monde qui entoure celui-ci. Mais ce que retient Dubuffet, ce n’est justement pas l’élément significatif : seule, pour lui, la profusion fait sens. A partir de ce tableau, L’Hourloupe va désormais se définir comme une sorte de phénomène organique, d’agitation cellulaire où le regard perçoit de fugitives images comme dans un vaste puzzle dont les éléments se combineraient provisoirement, suggérant des présences, des figures voire des personnages qui se décomposent dès que, de manière inquisitoire, le regard s’arrête sur eux et tandis qu’apparaissent, dans la proximité, d’autres associations tout aussi fugaces où se recomposent à partir des disjecta membra des images précédentes, de nouveaux personnages, de nouvelles figures, de nouvelles présences.

     Invité en 1965 à réaliser deux œuvres monumentales pour la nouvelle Faculté des Lettres de Nanterre, Dubuffet intitula, comme une sorte de code de lecture non seulement de ce projet mais de tout le cycle de L’Hourloupe, les maquettes de ses deux projets Nunc stans et Epokhé insistant ainsi à la fois à travers la formule latine sur la valeur d’un présent oublieux du passé et insoucieux de l’avenir et grâce au terme grec (que lui avait signalé Asger Jorn) sur la suspension du jugement, le refus de sens immuable. Privilégier l’immersion dans le présent, lui attribuer seul pouvoir d’évidence et d’émotion, mais le connaître en même temps comme soumis au mouvement constant de la pensée, sans rien de définitif, dans une liberté de l’esprit qui doit beaucoup à la fois à Schopenhauer et à l’esprit de la philosophie zen (que Dubuffet étudie alors avec attention).

     C’est par ce rejet de toute certitude qu’il faut de même entendre les titres qu’il donne alors à ses tableaux : J’opterai pour l’erreur, Compagnie fallacieuse, Versant de l’erreur, Etre et paraître… car, comme le rappelle Dubuffet dans le film Autoportrait : « L’art ne s’adresse pas à l’œil mais à l’esprit. » C’est sans doute dans cette notion d’une peinture réellement conceptuelle que prend corps peu à peu l’idée de renoncer au feu d’artifice coloré de Paris-Circus pour s’en tenir au contraste fondamental du bleu et du rouge – les couleurs par lesquelles on symbolise le sang des veines et celui des artères irrigant le corps humain – se détachant sur la neutralité des noirs et des blancs. Peints à l’huile, comme les œuvres de Paris-Circus, Les Riches fruits de l’erreur conservent dans leur transparence, leurs passages, leurs recouvrements – et jusque dans le maintien de deux cellules vides et blanches – la marque de ce plaisir de peindre que Dubuffet cherchera dans les temps successifs de L’Hourloupe à faire disparaître comme un dernier signe du passé de la peinture. 

     L’utilisation exclusive, à partir de 1964, de médiums vinyliques accentuera alors le caractère arbitraire de la couleur, le refus des repères qu’elle aurait pu donner à la lecture de l’œuvre. « C’est l’irréel maintenant, écrit Dubuffet, qui m’enchante ; j’ai un appétit de non-vrai, de fausse vie, d’anti-monde ; mes travaux sont lancés sur la voie de l’irréalisme. J’éprouve que réalisme et irréalisme sont les deux pôles entre lesquels se partage l’art, bien plutôt que ces sottes notions d’abstrait et de figuratif auxquelles courent aujourd’hui tous les esprits simplistes et mal informés et qui ne correspondent à rien que d’illusoire. »

(texte inédit, Daniel Abadie, 2013)

Jean Dubuffet, 1964 © Max Loreau

Mise au point de l’affiche destinée à l’exposition « l’Hourloupe » au Palazzo Grassi à Venise, à l’arrière plan, Les inconsistances, Vence, avril 1964, © Max Loreau