Lot 9
  • 9

Jean-Michel Basquiat

Estimate
2,300,000 - 3,000,000 EUR
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Description

  • Jean-Michel Basquiat
  • Water-Worshipper
  • signé, daté et titré au dos
  • acrylique, crayons gras, encre sérigraphique et métal sur panneau
  • 210 x 275 x 10 cm; 82 11/16 x 108 5/16 x 4 in.
  • Exécuté en 1984.

Provenance

Mary Boone Gallery, New York
Galerie Beaubourg, Paris
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel en 1988

Exhibited

New York, Mary Boone - Michael Werner Gallery, Jean-Michel Basquiat, 1985
Paris, Galerie Beaubourg, FIAC 1988
Paris, Galerie Enrico Navarra, Jean-Michel Basquiat, Peintures, sculptures, oeuvres sur papier et dessins, 1989; catalogue, pp.42-43, illustré en couleurs
Marseille, Musée Cantini, Jean-Michel Basquiat, Une Rétrospective, 1992; catalogue, p.121, illustré en couleurs
Tokyo, Mitsukoshi Museum; Marugame, M.I.M.O.C.A., Jean-Michel Basquiat, 1997; catalogue, pp.62-63, illustré en couleurs
Milano, Fondazione La Triennale di Milano, The Jean-Michel Basquiat Show, 2007; catalogue, p.274, no.138, illustré en couleurs 

Literature

Michel Enrici, Jean-Michel Basquiat, Paris, 1989, p.85, illustré en couleurs 
Richard D.Marshall, Jean-Louis Prat, Jean-Michel Basquiat - Vol.I, Paris, 1996, pp.198-199, illustré en couleurs
Richard D.Marshall, Jean-Louis Prat, Jean-Michel Basquiat - Vol.I, Paris, 2000, pp.192-193, illustré en couleurs
Richard D.Marshall, Jean-Louis Prat, Jean-Michel Basquiat - Vol.II, Paris, 2000, p.206, no.3, illustré en couleurs

Catalogue Note

signed, dated and titled on the back; acrylic, oilstick, silkscreen, wood and metal on panel. Executed in 1984.

Jasper Johns, Arrive/Depart, 1963-1964, huile sur toile, 172.7 x 130.8 cm, Bayerische Staatsgemäldesammlungen / Staatsgalerie moderner Kunst, Munich. © D.R.

Poupées Kachinas, gravure, 1894. © D.R.

Jean-Michel Basquiat, Slaveships (Tobacco), 1984, huile sur toile, 183 x 244 cm, collection particulière. © D.R.

Robert Rauschenberg, Rébus, 1955, technique mixte, 244 x 331 cm, collection particulière. © D.R.

Jean-Michel Basquiat, Untitled (Coca-Cola), 1982, technique mixte, 71 x 51 cm, collection particulière. © D.R.

Jean-Michel Basquiat, Earth, 1984, huile sur toile, 167,5 x 152,5 cm, collection particulière. © D.R.

Mami Wata, poster. © D.R.

Importante statue Malangan, vers 1880-1890, Nord de la Nouvelle-Irlande, bois polychrome. © Damien Perronet / ArtDigitalStudio
J.-M. Basquiat, Untitled(détail), 1983, graphite et acrylique sur papier, 27,5 x 21 cm, collection particulière © Jean-Michel Basquiat / Artists Rights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris
J.-M. Basquiat, Untitled (Baptism), 1982, acrylique, crayons gras et collage sur toile, 233,5 x 2333,5 cm © Jean-Michel Basquiat / Artists Rights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris

Quand Water Worshiper est exécuté en 1984, Jean-Michel Basquiat a 24 ans et touche l'apogée de son art. L'année suivante, lorsque l'œuvre est exposée  à la Mary Boone – Michael Werner Gallery à New York, l'artiste compte déjà à son actif plus de vingt expositions personnelles et soixante expositions collectives. Il est devenu l'artiste américain star dont les œuvres sont acquises par les collectionneurs les plus avant-gardistes des années 1980.

 

Au success-story de Jean-Michel Basquiat s'oppose une réalité plus complexe, dont les œuvres incarnent l'identité d'« un jeune américain black, d'origine haïtienne et portoricaine, jeté sur le carreau new yorkais et assumant les avatars de la violence urbaine d'une mégalopole, frappant à la porte de « la famille des artistes » en retournant la violence dans l'amalgame du graffiti et de la mémoire africaine. »[1]

 

Lors d'un entretien avec Démosthènes Davvetas que le quotidien français Libération publiera le 17 juin 1986, Jean-Michel Basquiat révèle « ...je ne suis jamais allé en Afrique. Je suis un artiste qui a subi l'influence de son environnement new-yorkais. Mais je possède une mémoire culturelle. Je n'ai pas besoin de chercher, elle existe. Elle est là-bas en Afrique. Ça ne veut pas dire que je dois aller vivre là-bas. Notre mémoire culturelle nous suit partout, où qu'on se trouve. ».  La mémoire culturelle est au centre de Water Worshiper dans lequel se joue une partie de l'histoire de l'Afrique et des Etats-Unis d'Amérique.

 

Quand Jean-Michel Basquiat remplace le portrait du célèbre marin anglais de la marque des cigarettes Player's par celui d'un personnage noir, l'artiste joue de l'opposition de l'homme blanc avec l'homme noir, comme s'opposent aussi les couleurs du fond du tableau. La figure d'un esclave noir au premier plan de bateaux négriers transparaît rapidement dans la composition et rappelle le tableau intitulé Slaveships que Jean-Michel Basquiat exécute la même année (illustré). Les dents du personnage figurent les barreaux d'une prison tandis qu'il porte encore au cou l'entrave de la liberté. Le personnage rouge, à gauche, évoque les poupées Kachinas des Indiens d'Amériques et fait doublement écho au passé d'esclavage de ces peuples opprimés. Les bras levés, ils s'appellent, ils s'accueillent, les deux personnages se regardent sous la haute bienveillance du soleil qui figure le monde et rappelle Earth que Jean-Michel Basquiat exécute aussi en 1984 (illustré). Une ouverture sur le monde et une fraternité entre les hommes que la bouée peinte autour du cou du personnage rendrait possible.

 

Le thème du tableau selon l'opposition de l'homme blanc avec l'homme noir, s'étend aux origines haïtiennes de l'artiste, lesquelles apportent à Water Worshiper - adorateur de l'eau, en anglais - un regard tout particulier sur le tableau. Il existe en effet dans la tradition du vaudou haïtien une déesse appelée Yemendja à qui un culte spécial est consacré. Elle est la (déesse) mère des eaux, que craignent les pêcheurs et les marins, et symbolise aussi bien la mer nourricière que l'océan destructeur. En Afrique cette déesse apparaît également sous le nom de Mami Wata et souvent représentée en peinture sous les traits d'une femme brandissant un serpent. Selon la culture haïtienne, Water Worshiper est une incantation à cette déesse tutélaire : peinte à droite elle brandit un serpent et son visage se confond avec celui de l'esclave, tandis qu'à gauche  le fidèle l'adore les bras en croix, sous le soleil bienveillant qui figure le monde. Dans Water Worshiper Jean-Michel Basquiat conjugue la mémoire culturelle familiale à l'oppression des minorités aux Amériques.

 

En suivant la tradition de Pablo Picasso à représenter les cultures issues d'Afrique, Jean-Michel Basquiat apparait comme le grand maître de cette représentation de la deuxième moitié du XXème siècle. En suivant aussi la tradition des artistes américains qui ont réinventé la surface et l'inscription, comme Robert Rauschenberg ou Jasper Johns, Jean-Michel Basquiat s'approprie de communes palissades où vis et clous apparaissent dans le bois.

 

« Le voyage de Basquiat en peinture a donc consisté à pleinement habiter la peinture américaine en trouvant dans sa propre expérience le mur immense qui la soutient, celui qu'ont érigé Newman et Rothko, celui qu'a investi Franz Kline, celui que Pollock a finalement redressé, ce mur qui a tenu sous les coups et sous les clous de Rauschenberg et de Johns, ce mur d'où Twombly s'est envolé vers l'Europe, ce mur qu'on voulu décorer Stella et Noland, ce mur dont Warhol a dit l'universalité et l'indifférence, ce mur de gloire et image même de la solidarité et de la compacité de New York. »[2]

 

 

1. (Michel Enrici, j.m. basquiat, La Différence, Paris, 1989, p.28)

2. (op.cit. p.38)