Lot 17
  • 17

Gudmundur Gudmundsson Erró

Estimate
200,000 - 300,000 EUR
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Description

  • Gudmundur Gudmundsson Erró
  • Baby Rockefeller
  • huile sur toile

  • 200 x 300 cm ; 78 3/4 x 118 1/8 in.
  • Exécuté en 1962-1963.

Provenance

Galleria Schwarz, Milan
Galerie 1900 - 2000, Paris
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel

Exhibited

Milan, Galleria Schwarz, Retour d'U.S.A., 1964; catalogue, no.33, illustré
Lille, Musée de l'Hospice Comtesse, La Figuration Narrative des années 60/70, 2007 ; catalogue, illustré en couleurs

Literature

Erró, Erró, édition Georges Fall,1968, no.17, illustré
Galerie Beaubourg, Erró - Catalogue général, Paris, 1976, p.106, no.27, illustré

Catalogue Note

oil on canvas. Executed in 1962-1963.

Erró, Foodscape, 1962-1964, 200 x 300 cm, collection du Moderna Museet, Stockholm. © Erró / Tord Lund - Moderna Museet, Stockholm

Tom Wesselman, Still life no.18, 1962. © Estate of Tom Wesselman/Licensed by VAGA, New York

Robert Rauschenberg, Retroactive I, 1964. Wadsworth Atheneum, Hartford. © Robert Rauschenberg Archive, New York

En décembre 1963, Gundmundur Gundmundsson Erró, voyage aux Etats-Unis, attiré par la civilisation et l'art américains. Ce peintre islandais de 29 ans, installé à Paris depuis le mois d'octobre 1958, se fait encore appelé Ferró quand il arrive à New-York et cela jusqu'en 1967.

En retrouvant Öyvind Fahlström, qui est installé à Big Apple, Erró pénètre très rapidement le milieu artistique pop. Il y côtoie Robert Rauschenberg, Claes Oldenburg, Andy Warhol et James Rosenquist, dont il apprécie particulièrement la peinture. Erró sillonne la ville de façon systématique, ses supermarchés et ses fast-foods, «... Là-bas, j'ai eu l'impression de renouveler complètement le matériel de base de mon travail. Je trouvais à New-York des boutiques avec des rayonnages interminables remplis de journaux. Je les sélectionnais, je les achetais, ils se vendaient au kilo. Ensuite, je découpais les images et composais des premiers collages puis je peignais avec des images made in USA d'après ces collages... . »¹

Jusqu'à ce que ce voyage survienne, la peinture d'Erró - comme celle des tableaux qu'il présente au début de l'année 1960 à la galerie Chirvan à Paris lors de sa première exposition personnelle, Mécamorphose - « ...peut se situer aussi bien dans la tradition de la peinture ancienne (Bosch, les Cosimo Tura de Ferrare, les Signorelli d'Orvieto, certains Crivelli) que dans la perspective rigoureusement moderne d'un Matta ou d'un Brauner ... embrassant à la fois l'univers concentrationnaire (cités, accumulations, prisons, trains, gares, routes) et le caractère mécanique de la vie individuelle (personnages identifiés à leurs fonctions : engrenages, ou rouages d'une immense machine sociale). »²

La fantaisie surréaliste, le monde onirique de la science fiction et des personnages mécaniques qui sont alors la marque de reconnaissance des tableaux d' Erró laissent la place à un ensemble d'œuvres nouvelles composant la série Retour d'U.S.A. L'usage massif de la réalité quotidienne et la beauté de l'ordinaire : affiches, magazines, etc. inspirent Erró d'un nouveau lyrisme.

La culture américaine du Coca-Cola, du juke-box, des revolvers et billets de banque est hissée en étendard par Erró qui excelle dans l'adaptation Pop Art des techniques de la publicité et de la bande dessinée. Retour d'U.S.A. est à la fois une parodie des comics américains et un inventaire de la consommation usuelle, dans lesquels se côtoient des boîtes de conserve, des voitures JEEP ou le nec plus ultra de la nourriture pour animal domestique. Les héros de Walt Disney et de Tex-Avery sont mis en scène avec des personnages, pastiches des tableaux de Picasso et de Greco. Comme Tom Wesselman ou James Rosenquist, Erró porte l'art du collage à un niveau de maîtrise extraordinaire.

L'exposition Retour d'U.S.A., dont la préface du catalogue est rédigée par Alain Jouffroy, est organisée aux mois de novembre et décembre 1964, à la Galleria Schwarz à Milan. Les 35 tableaux présentés révèlent Erró sous un nouveau jour, au point de penser rétrospectivement que ce voyage à New-York a certainement été déterminant dans sa carrière. Erró présente dans ses compositions éloquentes le monde entier qui s'américanise, rempli d'images industrielles, dans un feu de joie de couleurs vives. Cette série d'œuvres iconiques préfigure l'évolution de sa peinture.

Baby Rockefeller figure dans cette exposition au côté de Foodscape, ce dernier tableau faisant depuis partie des prestigieuses collections du Moderna Museet de Stockholm.

Ces deux tableaux occupent une place historique dans le corpus des œuvres d'Erró, car ils apparaissent comme les premiers Scapes que l'artiste réalise dans sa carrière. Leur symbole est d'autant plus fort qu'ils combinent à des dimensions exceptionnelles, le brio technique de l'artiste et des sujets made in USA. Les Scapes sont de véritables encyclopédies amassant les images, « ...je suis toujours à la recherche d'images. Il me faut des matériaux réels et, au cours de mes voyages, je fouille partout... »³, raconte Erró à Jean-Jacques Lebel. La portée encyclopédique des Scapes en fait habituellement des tableaux sans critique, alors que les tableaux de grands formats sont ceux dans lesquels l'artiste a l'habitude de se dépasser avec force pour dénoncer la grandiloquence des absurdités du monde (Flux de la Sharpville assexué censuré en Italie en 1961, Abolition des races exécuté au début des années 1960).

Baby Rockefeller et Foodscape, chacune de 200 x 300 cm, ont les plus grands formats des œuvres exposées dans Retour d'U.S.A. La peinture, particulièrement léchée, fourmille de centaines d'objets et de personnages, dont la richesse thématique et la juxtaposition crée un véritable grésillement optique.

Synonyme des fortunes possibles naissant aux Etats-Unis, la référence du tableau à la famille Rockefeller est illustrée par une abondance d'icônes de la culture de l'american way of life. Les portraits de chefs indiens, un musicien de country, un cavalier de rodéo, un cow-boy, une diligence, Santa-Claus et la profusion des sportifs, footballeur, joueurs de baseball, de golf, de tennis, de hockey se mélangent aux représentations infantiles d'animaux souvent utilisées dans les cartes de vœux et d'anniversaires, tandis que les fleurs et les fruits rouges à l'éclat appétissant donnent à l'ensemble de la composition le parfum de la tentation. Composé comme un Scape, Baby Rockefeller inventorie mais à la différence des tableaux d'Erro dans lesquels la critique sociale est perceptible dès le premier regard, l'ironie de Baby Rockefeller est plus subtile. Il annonce sans paraître la critique radicale du système marchand, aliénant les individus dans leur vie quotidienne et porte un vibrant écho à La société du spectacle que Guy Debord écrit en 1967.

Au cœur d'un mouvement cherchant une autre image de l'homme qui se dépasse, Erró clame une volonté de changer la vie par tous les moyens qui lui semblent poétiques. Baby Rockefeller apparaît comme un chef d'œuvre délibérément critique de la peinture narrative des années 1960, dressant Erró comme un artiste fondateur et incontournable de la Figuration Narrative.

(¹). Erró, Jean-Paul Ameline et Bénédicte Ajac, Entretien avec Erró, 23 octobre 2007 ; in catalogue d'exposition Figuration Narrative – Paris 1960-1972, Galerie Nationale du Grand Palais, 2008, p.296.
(²). Alain Jouffroy, « Ferró – Une peinture méticuleusement folle », Arts, Paris, no.785, août 1960
(³). Erró, catalogue d'exposition, Galerie Nationale du Jeu de Paume, 1999-2000, p.24.