Lot 17
  • 17

Georges Mathieu

Estimate
700,000 - 1,000,000 EUR
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Description

  • Georges Mathieu
  • L'abduction d'Henri IV par l'archevêque Anno de Cologne
  • signé, daté et localisé Düsseldorf
  • huile sur toile
  • 200 x 400 cm ; 78 3/4 x 157 1/2 in.
  • Peint le vendredi 10 janvier 1958.

Provenance

Galerie Helios Art, Bruxelles
Collection Ragnar Moltzau, Oslo
Marlborough-Gerson Gallery, New York
Collection particulière, Genève

Exhibited

Düsseldorf, Galerie Schmela, Georges Mathieu, 1958
Liège, Musée des Beaux-Arts, Mathieu, 1958, no. 2
Genève, Musée des Beaux-Arts (dépôt), 1974-1975
Paris, Galerie Nationale du Jeu de Paume, Mathieu, une rétrospective, 2002
Liège, Salle Saint-Georges, Mathieu, une rétrospective, 2003
Milan, Galleria Gruppo Credito Valtellinese – Reffetorio delle Stelline, Mathieu, une rétrospective, 2003, reproduit dans le catalogue pp. 170-171

Literature

Combat, 11 janvier 1958
Der Mitag, Düsseldorf, 12-13 janvier 1958
Neue Rhein Zeitung, Düsseldorf, 13 janvier 1958
Paris Journal, 16 janvier 1958
Gelderlander, Pays-Bas, 16 janvier 1958
New York Times, 17 janvier 1958
Industrier Kurier, Düsseldorf, 18 janvier 1958
L'Oeil, no. 59, novembre 1959
New Zealand Herald, Auckland, 9 juillet 1960
New Zealand Herald, Auckland, 27 octobre 1960
Catalogue de l'exposition Prospect Retrospect-Europa 1946-1976, Städtische Kunsthalle Düsseldorf, 20–31 octobre 1976, reproduit p. 42 (fragment)

Catalogue Note

Oil on canvas ; signed, dated and inscribed Düsseldorf. Painted in 1958.

 

C'est un grand tableau.

Oui, après Paris, Saint-Germain-en-Laye, Londres, Milan, Tokyo, Osaka, New York, Mathieu réalisa cet unique et particulièrement important tableau à Düsseldorf, avant de poursuivre sa course artistique à Venise, Rio de Janeiro, Buenos Aires, Jérusalem, Bruxelles...


L'artiste a revêtu ses habits de cérémonie.

En effet, il est habillé tout en blanc comme un escrimeur et porte une sorte de casque en tissu comme un soldat du Moyen-Âge. C'est que lorsqu'il peint ces grandes toiles – qu'il nomme ses Batailles – il est couvert de taches, d'éclaboussures, de projections et de coulées de peinture et que le casque retient ses cheveux longs.

Au-delà de cet aspect pratique, il déclare : Le costume est un moyen magique. Il m'aide à me mieux préparer à l'atmosphère picturale et à m'adapter à elle. Peindre est un moment qui touche, je dirai, à l'idée de sacrement. On pourrait même envisager – cela s'est fait dans certaines sociétés, dans d'autres civilisations – de donner à cet acte une solennité telle que l'on porte, pour la circonstance, des vêtements neufs ou des vêtements particuliers.


Mathieu a mis soixante-dix minutes pour peindre son tableau !

En introduisant la notion de vitesse dans l'esthétique occidentale, je n'ai répondu qu'à la nécessité interne des moyens de la peinture commandée par son évolution inexorable. En supprimant les trois références majeures que sont la référence à la nature, la référence à une esthétique et la référence à une esquisse, la peinture allait permettre une plus grande rapidité d'exécution qui, en aucun cas, ne saurait être considérée comme un avantage, une qualité, un critère.

Mais la vitesse en soi peut apporter tout de même quelque chose étant donné que si l'œuvre d'art se fait avec une grande rapidité et si la notion d'inspiration est remplacée par la notion de concentration, il peut se créer un état second assez voisin des états d'extase connus par les mystiques et, dans ces cas là, des phénomènes extraordinaires font qu'il y a une possibilité de réalisation de formes qui ne pourrait pas avoir lieu dans la solitude de l'atelier où toutes les habitudes du peintre reviendraient.


Des témoins ont assisté à la création de cette œuvre.

Cette toile a été peinte au 69 de la rue de Gladbach, à Düsseldorf, dans le grand atelier du peintre Otto Pienne (1928) qui avait convié, pour l'occasion, des étudiants et des peintres de l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf.

Peu ont compris que la peinture faite en public représente pour moi la véritable communion avec les hommes.


Pourquoi la plupart de ces grands tableaux ont-ils des titres historiques ?

D'abord, parce que Georges Mathieu, depuis son enfance, est passionné par l'Histoire.

Né à Boulogne-sur-Mer au pied des remparts d'un château de 1231, ayant été entretenu dans le souvenir que notre famille descendait du frère de Godefroy de Bouillon, passionné d'Histoire et de Légendes, lisant en classe de septième des ouvrages fort savants de 500 à 800 pages sur les croisades et l'an Mil, j'avais naturellement nourri une passion pour les Comtes de Boulogne (...) et pour tout le haut Moyen-Âge.

Ensuite, parce qu'il s'engage dans l'acte de peindre comme il livrerait une bataille, avec les forces et les conflits en présence et les charges de violence qu'il fait naître et conduit. Et lorsqu'il sort du combat, c'est après avoir triomphé de la toile blanche.

Enfin, il écrira : J'ai arraché à l'Histoire toutes ces pages pour les rendre à l'Art.


L'art étant langage, le signe est son élément premier.

Ce n'est pas la seule fois que Mathieu utilise un langage difficile à comprendre, dans ses écrits comme dans certains titres de ses tableaux.

Dès mes années de collège, j'ai cherché à créer un monde qui n'appartiendrait qu'à moi et me suis acharné à obscurcir ma pensée à la façon des ésotéristes pour protéger la vérité, ma vérité, et tenté de m'exprimer à la façon des alchimistes des XIV et XVèmes siècles...

Si l'artiste a joué du quiproquo qui pouvait rappeler la figure d' Henri IV, roi de France et de Navarre, cependant, aux journalistes qui assistaient à cette démonstration culturelle tout autant que cultuelle, il précisa que le thème qu'il avait choisi pour cette peinture était : l'Enlèvement de l'Empereur d'Allemagne Henri IV, par l'Archevêque Anno de Cologne, de la Kaiserpfalz à Kaiserswerth – an de grâce 1062.


Il s'agit d'une page historique.

Souvent, Mathieu a donné à ses tableaux des titres en référence aux pays où il les a peint ou bien où ils étaient exposés pour la première fois. Ce grand tableau, évoquant une phase de la construction de l'Empire romain-germanique, devait figurer, dès le lendemain de sa création, à l'exposition de ses œuvres organisée par la Galerie Schmela, à Düsseldorf.

Rappellons la trame de ce que l'on nomme, aujourd'hui encore, le « coup d'État de Kaiserwerth : : en 1062, le jeune roi Henri IV, âgé de 12 ans, fut enlevé dans son château (Kaiserpfalz), situé dans la petite ville de Kaiserwerth (non loin de Düsseldorf), sur ordre de Anno, l'Archevêque de Cologne, pour influer sur la politique menée par Agnès de Poitou, impératrice régente de l'Empire et mère de l'enfant que le « respectable » Anno fit éduquer avec plus de rigueur et d'autorité.


La toile abstraite se confond-t-elle avec l'événement ?

Pas du tout. Il ne suffit pas de donner un titre à une œuvre abstraite pour en faire une œuvre figurative !

Michel Tapié a fait superbement remarquer, à propos de Mathieu : « Ces signes...il leur donne des titres...qui mettent obligatoirement le spectateur hors de l'absurde médiocrité quotidienne et dans un climat de puissance dynamique. »

Mathieu lui-même déclare : Je préfère donner un titre comme la « Bataille de Bouvines » ou « les Capétiens partout », plutôt que : numéro 340 ou 345... Le nom que j'attribue à mes tableaux a pour seul but de désigner mes œuvres sur les catalogues ; principe admis par les grands couturiers pour la présentation de leur robe.

Il reste que cette œuvre d'art – qui n'a pour sujet que la peinture elle-même – avec, certes, pour amorce un climat de conjuration, de conspiration et de secret, fut exécutée par l'artiste, à 37 ans, à la vitesse des éclairs noirs, rouges et blancs sortis des tubes de couleurs, au milieu de forces contradictoires, en un jaillissement spontané venu du mystère des profondeurs du créateur, comme un cri primal. L'artiste tentait alors de nous atteindre et de rejoindre la sensibilité de tous les autres hommes, afin de provoquer en nous autres une émotion, encore.

Il y a cinquante ans déjà !


Jean-Marie CUSINBERCHE


Le décor, le faste, la mise en scène sont les conditions primitives, « instinctives » de la fête. Le spectacle auquel je convie le public doit être grave et joyeux. Le public a un véritable rôle magique, il crée une tension génératrice de la concentration : l'artiste est condamné à ne pas rater son œuvre, il est dans l'obligation de sauver son œuvre et de se sauver.

Lors de l'exécution improvisée de ses œuvres, l'artiste abstrait lyrique inaugure une stratégie et une tactique assez proches de celles de ces grands Capitaines qui ne se contentaient pas de gagner des batailles, mais les marquaient de leur sceau personnel et original, secrétant non des recettes mais des miracles. L'artiste cesse alors d'être l'exécutant habile d'une vision qu'il a précomposée ; il mène l'action pour son propre compte, une action dont l'enjeu n'est pas une victoire sur l'ennemi, mais sur lui-même.


Fig. 1. Georges Mathieu peignant L'abduction d'Henri IV par l'archevêque Anno de Cologne, 1956. - © D.R.

Fig. 2. Georges Mathieu exécutant L'abduction d'Henri IV par l'archevêque Anno de Cologne, 1956. - © D.R.

Fig. 3. Jackson Pollock, Convergence: Number 10, 1952, 237.4x393.7 cm. - © Biff Henrich.

Fig. 4. Georges Mathieu félicité par Alfred Schmela, après avoir peint L'abduction d'Henri IV par l'archevêque Anno de Cologne, 1956. - © D.R.