Lot 69
  • 69

[Album amicorum]. 1833-1856.

Estimate
30,000 - 40,000 EUR
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Description

  • Nerval, Gérard de--Gautier, Théophile--Hugo, Victor
  • [Album amicorum].1833-1856.
Petit in-8 oblong (125 x 200 mm).



reliure de l'époque. Demi-maroquin aubergine avec coins, le chiffre en lettres gothiques E. B[aronn]e. D.
Etiquette du papetier "Millet, Passage du saumon".
Reliure frottée aux angles.

Literature

Nerval, Oeuvres, La Pléiade, Notes et variantes des Odelettes, III, p. 1631--Eric Buffetaud, Exposition Gérard de Nerval, 1996, n° 22--Jean Ziegler, "Les Amours de jeunesse de Théophile Gautier", Bulletin du bibliophile, 1976, II, p. 119-130--J. Senelier, "Clartés sur la Cydalise", Studi francesi, 14, 1970, p. 451-461--Agnès de Noblet, J.-P. Bouilloux, S. Camet, Un univers d'artistes, autour de Théophile Gautier et de Judith Gautier, 2003--Lamartine, Oeuvres poétiques, La Pléiade, p. 546.

Condition

Reliure frottée aux angles.
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Catalogue Note

On ne connait avec certitude qu'un portrait de la mystérieuse Cydalise des poèmes de Nerval, dont l'original est aujourd'hui perdu. La reproduction en fut publiée en 1887 dans un recueil de dessins de Camille Rogier, son amant qui la peignit avant qu'elle ne devint la maitresse de Théophile Gautier (Exposition Nerval, n° 22).
Personne n'a pu encore identifier cette égérie du groupe bohême, chantée dans les poèmes de Gautier et de Nerval, et décrite par Arsène Houssaye dans ses Souvenirs. Apparue en 1833 dans leur vie, elle en disparut prématurément trois ans plus tard, morte de phtisie en mars 1836. Nerval, qui vivait alors avec Gauthier au Doyenné, la connut bien et la mentionne plusieurs fois dans la Bohème galante (Premier château). La Cydalise assistait, dans le cadre pittoresque de  l'immense appartement du Doyenné, aux récitations des poètes du Cénacle partageant leurs derniers vers. Nerval décrivit "les yeux chinois" de la Cydalise, "penchée en saule pleureur", ne parlant que par monosyllabes. "Mince, pâle, les yeux bistrés" selon Houssaye (Confessions).

Ce carnet, établi à la manière d'un album amicorum, contient, parmi de nombreux poèmes, certains de la main de leurs auteurs, d'autres recopiés, et quelques dessins d'artistes de l'époque,
4 extraordinaires pièces autographes :

- Nerval : le poème autographe de "La Malade", signé Gérard (f. 2 v°).

--Oh ! quel doux chant m'éveille ?...
--Près de ton lit je veille,
Ma fille et n'entends rien !
Rendors-toi c'est chimère...
--J'entens dehors, ma mère
un chant aérien.

--La fièvre va renaître
--Ces chants de ma fenêtre
semblent s'être approchés...
--Dors pauvre enfant malade
Va, point de sérénade,
Les amans sont couchés.

--Les amans -- que m'importe !
un nuage m'emporte...
Adieu le monde, adieu !
Maman ces sons étranges
C'est le concert des anges
Qui m'appellent à Dieu
Inspiré d'un poème allemand de Uhland, "La Malade" est publié la première fois dans Le Cabinet de lecture en 1830 sans que Nerval n'en avoue la source. Le poème prendra par la suite le titre de "Sérénade" lorsque Nerval l'inclue dans les Petits Châteaux de Bohême en 1852. Nerval offre vraisemblablement sa toute première version manuscrite de ce poème, encore sous le titre "La Malade", entre 1833, date à laquelle la Cydalise apparait dans la vie des poètes, et 1836, date de sa mort. Des autres manuscrits connus du poème, aucun ne porte plus ce titre original (Manuscrit Marc Loliée sous le titre "La Sérénade des Anges" ; Ms. Lovenjoul sous le titre "La Mère et la f[ille], non signé : Ms. Marsan sous le titre "La Sérénade", non signé). Nerval conçoit à cette même époque son petit chef-d'oeuvre "Les Cydalises", qui n'est autre encore qu'un portrait de la belle "malade" : Où sont nos amoureuses ?/Elles sont au tombeau. /Elles sont plus heureuses,/Dans un séjour plus beau !/Elles sont près des anges,/Dans le fond du ciel bleu,/Et chantent les louanges/De la mère de Dieu !

- Gautier : un poème autographe "Voici donc votre album, dites, pauvre malade", daté du 14 août 1833, signé Théophile Gautier (f. 5 r°). Inédit.

Voici donc votre album, dites, pauvre malade,
il faut des vers de moi, paraphés de mon nom
tout comme si j'étais Dante Goëthe ou Byron,
voyons que mettrons nous, chanson, ode ou ballade ;

un madrigal fleuri sentant l'ambre et bien fade
vous ne les aimez pas et vous avez raison ;
un fragment de poëme, ou bien de drame - non
cela vous paraitrait comme à moi fort maussade

le sonnet vous plait-il ? - je vais vous en faire un ;
c'est une perle fine, enchâssée et polie
que Pétrarque à Ronsard envoya d'Italie ;

un beau sonnet n'est pas d'un poëte commun,
le mien est bien mauvais mais vous êtes bien bonne
et vous l'accepterez comme je vous le donne.


- Gautier : un portrait au crayon de la Cydalise, assise dans un haut fauteuil à oreillettes, lisant, signé au crayon Théophile Gautier et daté oct. 1833. Le dessin est surmonté d'un vers de Victor Hugo : Son âme avait brisé son corps écrit au crayon de la main de Gautier (f. 15, r°).

- Lamartine : le poème "Le livre de la vie est un livre suprême", au crayon, signé Lamartine d'une autre main, non daté (f. 36 r°).

Le livre de la vie est un livre suprême,
Que l'on ne peut fermer
[Qu'on ne peut ni fermer] ni rouvrir à son choix ;
Le passage adoré 
[attachant] ne s'y lit pas deux fois.
Mais le feuillet fatal s'y tourne de lui-même.
On voudrait revenir à la page où l'on aime,
Et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts.
Lamartine inclura ce poème en 1834 sous le titre "Vers sur un album" dans l'édition de ses Oeuvres complètes, 1834. Ces vers sans doute autographes présentent des variantes avec la version imprimée (les vers tels qu'imprimés sont placés entre crochets). L'incertitude sur l'authenticité de l'écriture de Lamartine provient du fait que sa graphie (vérifiée) et celle de la personne ayant recopié les poèmes voisins sont ressemblantes.


- Hugo : un poème autographe "La vie est une fleur...", signé Victor H., non daté (dernier feuillet v°) :

La vie est une fleur, l'amour en est le miel.
C'est la colombe unie à l'aigle dans le ciel.
C'est la grâce tremblante à la force appuyée.
C'est ta main dans ma main doucement oubliée...
Aimons-nous ! aimons-nous !
Ces vers si célèbres paraissent la première fois en 1833 dans Le Roi s'amuse (Acte II, scène IV). Gautier, Nerval et Hugo se connaissent depuis les mémorables soirées d'Hernani en 1830, pour les 30 représentations duquel Nerval était "chargé de recruter des jeunes gens" (Théophile Gautier, "Première rencontre", article publié dans Le Bien public, 1872).

Le mystère de la Cydalise est resté à ce jour total. Son bref passage dans la vie des bohèmes du Doyenné explique la rareté des traces qu'elle a laissées. Personnage ethéré, poétique, romantique, atteinte du mal du siècle, la tuberculose, elle ne laissa pas même un nom. Cet album lève le voile sur la date à laquelle elle entre dans la vie des poètes : avant février 1833, date du poème de cet album. Son passage fut bref mais laissa des traces pour toujours : le peintre Rogier l'aima et la peignit, Théophile Gautier écrivit pour elle de très beaux vers idéalistes, l'immortalisant dans Mademoiselle de Maupin et dans Les Taches jaunes en 1844 encore. Nerval ne l'oublie jamais dans les descriptions de sa jeunesse et perpétue son souvenir sous les traits d'une belle et sensible figure romantique se mourant de la phtisie.
On pensa l'avoir identifiée lorsque Senelier publia ses "Clartés sur la Cydalise" (Studi francesi, 1970). Mais Jean Ziegler put vérifier que cette Anne-Catherine Cide, morte le 25 février 1836, était âgée de 52 ans... ("Les Amours de jeunesse de Théophile Gautier", 1976).

Parmi les autres contributions à l'album, on citera Ernest Fouinet (autographe, janvier 1833), Auguste Chennevière, F. Ponsard, Alexandre Dumas et Alphonse Karr (copies), et parmi les 12 dessins au crayon, dessins à l'encre et aquarelles :  3 paysages de Jules Castéran, et  une belle composition neo-classique de C. Desprez signée et datée 1839.
Le chiffre inscrit en lettres gothiques dorées sur le premier plat du carnet reste un mystère. La dédicataire des pièces postérieures à 1836, souvent des copies d'une même écriture régulière penchée vers la droite est restée anonyme.