Lot 208
  • 208

Extraordinaire appui-tête, Luba Shankadi, attribué au « Maître de la coiffure en cascade », atelier de Kinkondja, République Démocratique du Congo

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Description

  • Extraordinaire appui-tête, Luba Shankadi, attribué au « Maître de la coiffure en cascade », atelier de Kinkondja
  • haut. 13,5 cm
  • 5 1/2 in
Le personnage cariatide, portant une coiffure à doubles chignons agencés en cascade, est assis dans une pose parfaitement symétrique : jambes repliées vers l’arrière et pieds placés horizontalement, encadrant le buste, bras écartés latéralement et reposant sur la zone ombilicale. Superbe rythme offert par la fluidité des lignes et le dynamisme de la pose, avec une succession de formes anguleuses et de courbes tendues, répondant l’une à l’autre dans un équilibre parfait. Très grande délicatesse dans le traitement du visage à l’ample front rasé, et de la coiffe. Le cou, la taille et le montant sont ornés d’un collier à deux rangs de perles de verre noires et blanches. La base circulaire - gravée de courtes rainures parallèles et verticales - et le plateau d’appui sont ornés de têtes de clous en cuivre.Très belle patine nuancée, brune, brillante, légèrement grumeleuse dans les creux de la gravure, sur le personnage et la base, sombre et brillante sur la tablette d’appui.   

Provenance

Donné par un missionnaire Scheut à la grand-mère de l'actuel propriétaire, Madame Joséphine Ceriez, au début des années 1920
Transmis par descendance au propriétaire actuel

Catalogue Note

Dès 1888, la Congrégation des Pères missionnaires de Scheut s’établit dans l'Etat indépendant du Congo (devenu Congo Belge en 1908), subsidiée par Léopold II afin d’y contrer l’influence grandissante de l’église protestante. Les missionnaires de Scheut s’établirent en particulier dans la région du Kasaï, à partir notamment des premiers postes créés au XIXe siècle à Lusambo et à Luluabourg (actuelle Kananga, capitale de la région du Kasaï occidental).

 

Une œuvre inconnue du « Maître de la Coiffure en Cascade »

La non reconnaissance, par les Occidentaux, de l’individualité artistique des sculpteurs africains d’une part, et l’absence de mémoire écrite dans l’Afrique ancienne d’autre part, ont conduit à l’ignorance des dates de création et à l’anonymat (ou plus précisément à la non connaissance du nom) des artistes, pénalisant ainsi la plupart des œuvres d’art africain traditionnels.

La nécessité de combler ces lacunes – qui nuisent gravement à l’image de l’art africain - s’impose aujourd’hui avec urgence. Ainsi, les méthodes scientifiques de datation des œuvres (mesures au carbone 14 et à la thermoluminescence) de plus en plus fiables, et le réexamen des sources d’archives, rendent possible la datation d’un nombre croissant de sculptures. Par ailleurs, un travail poussé d’analyse stylistique a permis de regrouper certaines œuvres et de les attribuer à un même auteur, ou atelier, constituant ainsi une piste pour résoudre – au moins partiellement – ce problème. C’est le cas de l’appui-tête présenté ici.

Il est malheureusement très rare, en dehors de toute information recueillie lors de la collecte, de connaître le vrai nom de l’artiste. Force est donc d’utiliser un nom de convenance, selon la pratique déjà usitée au XIXe siècle pour les œuvres d’artistes inconnus – et d’en indiquer des dates de création approximatives.

La sculpture présentée ici fait partie d’un ensemble de quinze appuis-tête créés par un grand « miniaturiste » (aucune œuvre ne dépassant 20 cm de hauteur) Luba Shaba, connu sous le nom conventionnel de « Maître de la Coiffure en Cascade ». Ce nom lui a été attribué par William Fagg en 1964 en raison de la forme très spécifique de la coiffure portée par le personnage cariatide (coiffure à pagodes, constituée de deux élégantes ailes superposées). Par la suite, l’analyse détaillée de l’ensemble des œuvres de ce groupe a révélé l’existence de deux maîtres distincts - identifiés à partir de particularismes minimes, tels que par exemple la forme des yeux -, puis de suiveurs, ayant produit des sculptures d’une qualité inégale.

Au sein du corpus des appuis-tête Luba, ces œuvres se distinguent non seulement par la coiffure en pagodes, caractéristique, mais également par des volumes secs, des membres fins et étirés, un rendu relativement synthétique des détails, et par un agencement très rigoureux des différentes parties du corps.

François Neyt – faisant autorité dans le domaine des arts du Congo – situe les auteurs de ces  « petits » chefs-d’œuvre dans le royaume de Kinkondja, près du lac Kisale (région du Shaba), où ils ont exercé entre la fin du XIX° siècle et les premières années du XX° siècle. Cette hypothèse est renforcée par les annotations du Museo di Antropologia e Etnografia de Florence, à propos de l’appui-tête qui y est conservé, collecté par Ernesto Bristoni en 1901, « dans le village de Kinkondja sur le lac Kisale ».

Le personnage représenté sur cet appui-tête récemment découvert offre un schéma de composition identique à celui de trois autres exemplaires, conservés respectivement :
-        Au Museo di Antropologia e Etnografia de Florence, précédemment cité
-        Au Museum für Völkerkunde de Berlin
-        Au Musée Royal de l’Afrique Centrale, à Tervuren

Les corps sont agencés selon une structure géométrique d’une très belle rigueur : aux quatre arches de circonférence constitués par le front, les deux ailes de la coiffure et la courbe des bras s’opposent les lignes horizontales de la tablette supérieure, des épaules et l’ensemble avant-bras et genoux. La même rigueur s’observe au dos, accentuée par la ligne droite des pieds tournés l’un vers l’autre.

La paternité de cette œuvre est confirmée non seulement par la distribution des volumes mais également par le traitement homogène des détails : traits du visage, petits seins, ailes de la coiffure, forme de la tablette et base circulaire, et enfin par la décoration, l’ensemble révélant la main d’un grand artiste, à la fois interprète de la tradition figurative de son peuple et en même temps hautement original.

Ezio Bassani, septembre 2006

 

A superb Luba-Shankadi headrest, attributed to the "Master of the Cascade Coiffure", Kinkondja workshop, Democratic Republic of the Congo

As early as 1888, a congregation of Fathers took the Scheut Mission to the former Congo Free State (later know as the Belgian Congo). The mission was subsidised by King Leopold II in an attempt to counter the growing influence of the Protestant church. The Scheut missionaries established themselves particularly in the Kasaï region; they created the first posts in the 19th century in Lusambo and Luluabourg (today known as Kananga, the capital of the Western Kasaï).

An Unknown Work by the 'Master of the Cascade Coiffure'

The majority of traditional African works of art are not well understood because they lack an execution date and their creators are anonymous (that is, the name of the artist is not known). This is the perverse fruit of a historical absence of the written word in Africa and the West’s disinterest in an original and personal art from this continent.

The need to fill these gaps, which denigrate the image of African art, makes itself heard with increasing urgency: on one hand, the scientific methods of dating works (radiocarbon and thermoluminescence tests) are increasingly accurate and help to re-examine and date prominent known pieces. These methods enable the dating of an ever increasing number of sculptures, which, in turn, can be arranged into like groupings and attributed to a particular artist or atelier. The attribution of workshops helps to resolve, in part, the second problem, as in the case of the offered headrest.

Unfortunately it is almost impossible to know the real name of the artist, even a master carver, who has created works we admire. Therefore we are forced to resort to using a moniker –as, for example, occurred in the 19th century with works by unknown European artists – and to indicate only approximate execution dates.

The offered sculpture is from a collection of approximately fifteen headrests created by a great Luba-Shaba “miniaturist” (the works never exceed more than twenty centimetres), known as the “Master of the cascade coiffure”. This name was given to the carver by William Fagg in 1964[1], owing to the particular hairstyles displayed by the human figures supporting the pillow upon which the owner of the piece would have placed the head whilst resting[2].

Closer examination of this group of sculptures by the “Master of the cascade coiffure” has revealed that there were at least two masters, as well as some followers of greater or lesser ability. The bodies of their caryatids differ from classic Luba figures, characterised by full and rounded forms, they have defined features and fine elongated limbs; the rendered work is more synthetic and the elements of the body (or bodies as in the case of the double caryatids) are rigorously structured.

The unique form of the depicted coiffures is a pagoda hairstyle, constituted by two large and extremely elegant overlapping wings. This coiffure gives the two masters their moniker. The hands of the two masters can be distinguished by their minimalist[3] treatment: the form of the eyes, for example.

The artists of these small masterpieces were active in an atelier which François Neyt, an authority on Congolese art[4], has located within the small kingdom of Kinkondia, situated close to Lake Kisale in the Shaba region. The atelier would have been in operation between the end of the 19th century and the first two decades of the 20th century. This hypothesis is validated by archives at the Museo di Antropologia e Etnografia in Florence which relate to a piece in the Museum (the first recorded in a European institution), collected by Ernesto Brissoni in 1901 "from the village of Kinkondja on Lake Kisale".

The figure represented on the offered headrest, which has recently come to light, echoes the compositional layout of three other pieces. One in the above-mentioned Florentine museum, another in the Museum für Völkerkunde, Berlin and a third in the Royal Museum for Central Africa, Tervuren. Like the aforementioned pieces, the body of the offered sculpture shows a geometric structure of strong carving -- from the four circumferal arches constituted by the forehead, to the two wings of the hair and the curve of the arms counterbalanced by the horizontal lines of the pillow, the level shoulders and the alignment of the forearms and knees. The same rigor and appreciation is evident on the reverse, accentuated by the straight line of the contrasted feet.

The authorship of this work is confirmed not only in the distribution of the volumes, but also in the homogeneity of the facial features, the small breasts, the wings of the coiffure, the shape of the pillow and circular base. Indeed, the decoration demonstrates the hand of a confident artist, an interpreter of the figurative tradition of his people, whilst at the same time being highly original.

Ezio Bassani, September 2006

 

[1] Fagg W. and Plass M., African Sculpture, Dutton Vista, London 1964, p. 88.

[2] In Luba society, other than safeguarding the elaborate coiffure, the headrest served as a divination object; an object called a katatora would be rubbed on the pillow, which, with its movements on the surface would provide answers to the user.

[3] Only two works by the second master have been identified, both of which depict two figures, and one which displays a cross-hatched coiffeur, typical of the Hemba.

[4] Neyt F., Luba, aux sources du Zaire, Paris, Musée Drapper 1993, p. 184 and 192.