Lot 52
  • 52

l'enclos et les oiseaux, XXIIème Revie manuscrit autographe [vers 1797-1798 ?]

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Description

  • Restif de la Bretonne, Nicolas Edme
  • l'enclos et les oiseaux, XXIIème Reviemanuscrit autographe[vers 1797-1798 ?]
Manuscrit autographe de premier jet, avec corrections et ajouts, demeuré aisément lisible, d'un fragment de L'Enclos et les Oiseaux, titré "Vème Vie Voluptueuse. XXIIème Revie. Félicette [puis ajouté au-dessus :] Victoire". 16 pages petit in-4 (151 x 202 mm) sur 4 doubles feuillets, à l'encre noire sur papier vergé filigrané de teinte gris bleuté, foliotées de 183 à 194 et de 199 à 202.
Transcription intégrale dactylographiée jointe.
Un feuillet déchiré en bord inférieur avec léger manque de texte ; encre par endroit un peu délavée, petites taches brunes au niveau des plis.



"Ce n'était presque pas la peine de devenir riche en 1786, mais heureusement j'avais évité les cruelles maladies que m'avaient communiquées Camargo et Agnès L., j'étais vigoureux, j'avais 50 mille livres de revenu (...) Nous nous trouvâmes chez le chevalier de St-Mars avec une soeur nommée Félicitette et son frère Monsieur Prodiguez qui avait un procès avec les fermiers généraux. Sa soeur quoiqu'elle eût 27 ou 28 ans me plus beaucoup, et au sortir de la table je lui fit des compliments qui nous lièrent. Je n'en devins pas amoureux, mais elle me plaisait (...) Au retour, nous étant trouvés seuls elle et moi pendant que son frère reconduisait mes filles en voiture, j'obtins d'elle la petite-oie: c'est-à-dire la bouche et la gorge, que je baisais délicieusement et très longtemps. Me voilà donc attaché par le plaisir."
Rapidement le narrateur et "Victoire" deviennent amants, donnant lieu à des scènes de débauches et de saphisme suggéré en compagnie des filles du narrateur : "Je lui demandai ses faveurs, et je ravis la dernière... Je la caressais ensuite, quand Agsen, que nous entendions venir, rentra auprès de nous. Elle regarda Victoire: Es-tu maman? (lui demanda-t-elle) Victoire la pressa sur son coeur en lui disant : tout à fait, ma chère fille ! (...) Agsen la dévorait de caresses. Elle ne la quittait pas, la baisant sur la bouche, sur les mains, et même aux pieds : de sorte que sa soeur arriva. Elle est notre maman (lui dit Agsen) qui apparemment l'avait prévenue sur la signification de ce mot (...) Elles l'emmenèrent ensuite dans la chambre de la cadette."
Coucheries incessantes, marivaudages et ruptures, scènes licencieuses traitées avec frénésie et humour débridé se succèdent jusqu' à la description d'une nuit d'effusion délirante où quatre hommes dont le narrateur, et quatre femmes dont ses filles, se livrent aux plaisirs échangistes.
Les pages chiffrées de 199 à 202 concernent, semble-t-il, une autre aventure sexuelle du narrateur, avec une certaine "Pôline", évoquée par des scènes semblables. Elle se termine sur cette indication : "La Revie suivante donnera la suite au événement de 1789 à 1798, époque à laquelle je finis cet ouvrage (...) "

Provenance

Chambon de la Scelle et Robin (mention dactylographiée sur la transcription du texte).

Literature

Rives Child, Restif de la Bretonne, p. 131, 174. 

Catalogue Note

Exceptionnel vestige du dernier roman de Restif de la Bretonne, en grande partie inédit, et dont le manuscrit, dispersé au XIXe siècle, est aujourd'hui porté disparu :
"Sauvons du moins ce qui reste de L'Enclos et les Oiseaux pendant que ces feuillets bleux existent encore" (Pierre Louÿs, qui retrouva un fragment du manuscrit).
Les manuscrits autographes d'oeuvres de Restif de la Bretonne se comptent sur les doigts : en 1949, Rives Child en mentionne seulement deux, conservés à la bibliothèque de l'Arsenal. Les collections Michel Simon, Roger Peyrefitte et récemment Gérard Nordmann, réputées les plus belles bibliothèques érotiques de leur temps, ne comptaient aucun autographe du grand rival du marquis de Sade.

Louÿs consacra un article à L'Enclos et les Oiseaux qui explique bien la triste destinée de ce roman ("Un roman inédit de Restif", in Revue des Livres anciens, fasc. 1er, 1913, p. 87-94, cité par J. Rives Child, Restif de la Bretonne, p. 131) :
"Quand le pauvre Restif de la Bretonne mourut chez sa fille Marion, le 3 février 1806, il laissait plusieurs ouvrages inédits et achevés que la misère, la vieillesse, la maladie l'avaient empêché d'imprimer lui-même. Le plus important, celui sur lequel il fondait toutes ses espérances, était entièrement terminé depuis 1797. Nous en connaissons le titre : L'Enclos et les Oiseaux (...) C'était un recueil de "Revies" et de soixante nouvelles diverses que réunissait, en un seul roman, le réseau artificiel d'un conte énorme et singulier (...) Lorsqu'il eut ainsi publié son histoire sous une forme romanesque dans Le Paysan perverti, La Femme infidèle, etc., il entreprit de la raconter tout entière en seize volumes sous forme de confession véritable (Monsieur Nicolas) Mais ensuite ? Il avait écrit tour à tour le roman de sa vie, l'histoire de sa vie, le drame de sa vie. Comment renouvellerait-il l'éternel sujet de son labeur ? Ce fut alors qu'on lui suggéra une idée assez originale et peut-être sans précédent exact : celle d'écrire le journal de sa vie passée telle qu'elle aurait pu être, s'il eût été heureux (...) Seules l'Introduction, la première "Revie" (Mme Hennebenne) et la moitié de la deuxième (Jeannette Rousseau) furent imprimées par Restif en appendice aux Posthumes (1802) et elles contribuèrent sans doute à faire saisir l'ouvrage car ce sont les plus libres que Restif ait signées (...) Quatre ans plus tard, quand Restif mourut, L'Enclos et les Oiseaux restait inédit ; il l'est encore ; il est même perdu depuis longtemps."  Louÿs raconte à la fin de son article, comment, chez un marchand d'autographes, il découvrit par hasard une vingtaine de feuilles du manuscrit perdu de L'Enclos et les Oiseaux, il s'agissait d'une partie de la neuvième "Revie" :
"Je revenais de Bourgogne (...) quand j'ouvris le catalogue d'un savant expert en autographes qui annonçait une page d'un manuscrit de Restif. Je regardais l'autographe que l'on m'avait mis sous les yeux et je lus dans un éblouissement : "IXe Revie". Sans aucun doute, c'était une page du manuscrit perdu. C'était L'Enclos et les Oiseaux."
Un second marchand d'autographes, lui révéla à la même époque avoir détenu autrefois une grande partie d'un manuscrit non identifié de Restif, qu'à la description Louÿs reconnut comme celui de L'Enclos. Hélas, ce manuscrit avait été entièrement démembré et les feuillets dispersés peu à peu à des amateurs isolés, entre autres à "un monsieur qui en acheta beaucoup mais dont le nom demeura inconnu".
C'est le tragique destin de cette dernière oeuvre de Restif de la Bretonne que Maurice Heine relate à son tour en 1934, dans la revue Hippocrate (cité par Rives Child, p. 174) : "Le manuscrit de L'Enclos et les Oiseaux, ou tout au moins celui des Revies avait échappé à la destruction jusqu'au début du XXe siècle. Tombé on ne sait d'où chez des marchands, il subit alors un sort lamentable, auquel sa constitution même le prédestinait. Restif l'avait en effet rédigé sur des feuilles volantes, aussi diverses par le format que par la nature du papier (...) Ne tenant pas plus compte de la pagination que du texte, des vandales disloquèrent le fragile édifice et en dispersèrent les débris, au gré des collectionneurs d'autographes." Et le grand historien des lettres de conclure : "L'un des plus étranges romans de notre littérature - en tout cas, un document capital sur la psychologie de son auteur - succombait obscurément entre des mains cupides et ignares."
Cette "Revie", la XXIIe, serait donc une des cinq aujourd'hui connues ou conservées, parmi la première et la deuxième (les seules publiées en 1802), la neuvième redécouverte par Louÿs et la vingt-troisième évoquée par Heine. Chacune est associée à un partenaire sexuel du narrateur. Ce dernier n'est autre que Restif réécrivant sa vie (d'où l'invention du terme de "Re-vie") comme s'il avait pu en déterminer le cours.